Depuis des siècles, les femmes ont dû arracher à l’histoire ce que le destin ne leur concédait pas. En Egypte comme en France, derrière les révolutions et les soulèvements, derrière les discours enflammés et les luttes silencieuses, se cachent des figures lumineuses qui ont osé défier l’ordre établi. Des voix qui ont refusé de se taire, des âmes brûlantes d’un même idéal : la justice, l’égalité, la liberté.
Hoda Chaaraoui et Olympe de Gouges, bien que nées à des époques et des horizons différents, ont été unies par un même combat. L’une, dans les palais et les ruelles du Caire, a brisé les chaînes des traditions qui enfermaient les femmes dans l’ombre des hommes. L’autre, sous les cieux orageux de la Révolution française, a défié les lois d’un monde qui ne concevait la liberté qu’au masculin. Toutes deux ont payé le prix de leur audace, mais leur héritage résonne encore aujourd’hui, vibrant dans chaque femme qui ose, dans chaque voix qui s’élève, dans chaque rêve de justice qui refuse de s’éteindre.
L’histoire des femmes est celle d’une marche incessante vers la lumière, et ces deux figures en sont des étoiles éternelles.
Hoda Chaaraoui : L’étoile flamboyante du féminisme égyptien

Dans le firmament de l’histoire égyptienne, une étoile brille avec une intensité particulière, celle de Hoda Chaaraoui. Née en 1879 à Minya, en Haute-Egypte, elle est issue d’une famille aristocratique musulmane. Son père, Muhammad Sultan Pacha, était un homme politique influent, président de la chambre des députés, et sa mère, Iqbal, une esclave circassienne. Dès son plus jeune âge, Hoda est plongée dans l’univers clos du harem familial, un monde de femmes où les murs protègent autant qu’ils enferment.
Les chaînes d’un mariage imposé
À l’âge de 13 ans, Hoda est mariée à son cousin, conformément aux traditions de l’époque. Ce mariage précoce, loin d’être une union choisie, est une entrave à ses aspirations. Cependant, cette épreuve forge en elle une détermination inébranlable à lutter contre les injustices faites aux femmes. Elle se sépare de son mari et s’émancipe progressivement, fréquentant des cercles intellectuels et s’ouvrant au monde extérieur.
L’éveil d’une conscience féministe et nationaliste
Le début du XXe siècle est marqué par des bouleversements politiques en Egypte. Hoda s’engage aux côtés du parti nationaliste Wafd, œuvrant pour l’indépendance de son pays. Elle organise des manifestations et mobilise les femmes pour la cause nationale. Cette période est également celle de son éveil féministe. Elle prend conscience que la libération de la nation ne peut se faire sans celle des femmes.
La fondation de l’Union féministe égyptienne
En 1923, après la mort de son mari, Hoda fonde l’Union féministe égyptienne (UFE). Cette organisation milite pour les droits des femmes, notamment l’accès à l’éducation, à l’université et à la fonction publique. Elle plaide également pour la réforme des lois sur le mariage et la polygamie. Son action est guidée par la conviction que l’émancipation des femmes est essentielle au progrès de la société égyptienne.
La même année, de retour d’un congrès international à Rome, Hoda pose un acte symbolique fort : elle retire son voile intégral en public, sur le quai de la gare du Caire. Ce geste audacieux est un défi aux conventions sociales et un appel à la libération des femmes égyptiennes. Il marque le début d’une ère nouvelle pour le mouvement féministe en Egypte.
L’héritage d’une pionnière
Hoda Chaaraoui consacre le reste de sa vie à la cause des femmes et à l’unité du monde arabe. Elle participe à des conférences internationales, parraine des associations et lance en 1925 une revue féministe, L’Égyptienne, pour articuler les revendications des femmes égyptiennes avec les mouvements féministes internationaux. En 1944, elle organise au Caire le premier congrès féministe arabe, liant féminisme et panarabisme. Elle critique l’absence de femmes dans la Ligue arabe, déclarant : “La Ligue dont vous avez signé le pacte hier n’est qu’une moitié de Ligue, la Ligue de la moitié du peuple arabe.”
Hoda Chaaraoui s’éteint le 12 décembre 1947, mais son héritage perdure. Son nom est synonyme de courage et de détermination. Elle a ouvert la voie à des générations de femmes arabes, leur montrant que le chemin de la liberté est pavé de volonté et de persévérance. Son histoire est une ode à la résilience et à la quête incessante de justice et d’égalité.
Olympe de Gouges : La voix indomptable de la liberté

Il est des femmes dont le nom résonne comme un écho lointain dans les couloirs de l’Histoire, des voix que l’on a voulu étouffer, mais dont les paroles, plus fortes que la cendre et le temps, se sont inscrites dans la mémoire collective. Olympe de Gouges est de celles-là. Elle fut un feu ardent dans une époque où l’ombre pesait sur les femmes. Elle fut une plume acérée contre l’injustice, une âme insurgée contre le silence imposé. Son crime ? Avoir osé dire que les droits de l’homme ne pouvaient exister sans les droits de la femme. Son châtiment ? La lame froide de la guillotine.
Des racines modestes à l’effervescence des Lumières
Marie Gouze naît en 1748 à Montauban, une ville du sud de la France, dans une société où tout semble scellé dès la naissance. Fille d’un boucher et d’une servante, elle rêve pourtant d’un destin qui ne se limite pas aux contraintes de son sexe. Très jeune, elle est mariée contre son gré à un homme bien plus âgé qu’elle, un certain Louis Aubry, qu’elle détestera toute sa vie. Lorsque ce dernier meurt en 1766, elle prend un nom nouveau, une identité choisie : Olympe de Gouges. Elle quitte Montauban pour Paris avec la fougue de celles qui savent que l’existence doit se conquérir.
Dans la capitale, elle découvre la littérature, le théâtre, la politique. Sa plume devient son arme, son esprit sa seule allégeance. Elle fréquente les salons intellectuels, où elle croise philosophes et écrivains, et se bat pour imposer ses idées dans un monde où l’audace féminine est perçue comme une incongruité.
L’éveil d’une combattante
Lorsque la Révolution française éclate en 1789, Olympe de Gouges y voit une promesse d’égalité et de justice. Mais très vite, elle réalise l’illusion : les femmes restent invisibles dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La liberté, tant proclamée, semble une affaire d’hommes. Elle décide alors de rédiger un texte fondamental : la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791), où elle affirme que « la femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits ». C’est une révolution dans la Révolution.
Elle y revendique des droits inédits pour son époque : le droit au divorce, à l’égalité dans l’héritage, à l’éducation, à la participation politique. Mais surtout, elle ose une idée que peu avaient eu l’audace d’énoncer : si la femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit aussi avoir le droit de monter à la tribune. Cette phrase, tranchante comme un couperet, scelle son destin.
Un combat solitaire et dangereux
Olympe de Gouges ne se contente pas d’écrire pour les femmes. Elle se dresse contre l’esclavage avec sa pièce de théâtre L’Esclavage des Noirs, où elle dénonce avec véhémence le commerce triangulaire. Son engagement antiesclavagiste la place déjà dans la ligne de mire des conservateurs. Elle critique ensuite les violences révolutionnaires, refuse la terreur, défend un procès équitable pour Louis XVI. À mesure que l’échafaud s’élève, sa voix devient plus fragile, plus menacée.
Elle s’attaque aux Jacobins, en particulier à Robespierre, qu’elle perçoit comme un tyran sous le masque du libérateur. Elle réclame un gouvernement reposant sur un contrat social, où chaque citoyen, homme ou femme, aurait une voix. Mais la liberté d’expression a ses limites dans une époque où la guillotine règne en maîtresse.
L’ombre de la guillotine
En 1793, Olympe de Gouges est arrêtée. Son crime ? Avoir proposé une alternative politique à la Convention dans un pamphlet intitulé Les Trois Urnes, où elle suggère que le peuple choisisse librement son mode de gouvernement. Pour les Jacobins, cette audace est une trahison.
Incarcérée, elle tente de plaider sa cause. Mais une femme qui s’aventure dans l’arène politique ne peut espérer de clémence. Robespierre et ses partisans la jugent dangereuse, non parce qu’elle est un ennemi puissant, mais parce qu’elle est une femme qui pense. Le tribunal révolutionnaire ne lui accorde aucun répit. Le 3 novembre 1793, elle monte à l’échafaud, fière, droite, fidèle à elle-même. Avant que la lame ne tombe, elle aurait déclaré : “Enfants de la Patrie, vous vengerez ma mort.”
L’écho d’une femme libre
Son nom sombra dans l’oubli pendant des décennies. Trop dérangeante, trop en avance sur son temps, Olympe de Gouges fut effacée des récits officiels. Il fallut attendre le XXe siècle pour que son combat soit reconnu, pour que son visage resurgisse parmi les figures de la Révolution. Aujourd’hui, elle est célébrée comme une pionnière du féminisme, une voix prophétique de l’égalité.
Mais son combat n’est pas une relique du passé. Il résonne encore dans chaque lutte pour les droits des femmes, dans chaque débat sur la justice et l’égalité. Olympe de Gouges n’est pas qu’un nom inscrit dans l’Histoire : elle est une flamme, un souffle, une révolte. Une preuve, éclatante et douloureuse, que les idées survivent toujours à ceux qui les portent.