Tel une jungle où la justice entre les animaux n’a pas lieu car c’est la loi du plus fort qui s’impose à tous, notre monde se précipite vers l’abîme. Emaillées d’injustices de tous genres, nos sociétés mettent en place le système judiciaire pour trancher entre les contestataires. Cependant, si l’ontourne le dos aux lois et aux tribunaux, et l’on se retrouve face à la lourde machine de justice, certaines personnes décident alors de se faire justice elles-mêmes. Cette situation nous pousse à nous interroger : Que devient notre monde ? Débat.
Par : Hanaa Khachaba
Se faire justice soi-même correspond donc à une tentation forte de corriger soi-même une justice qu’on juge déficiente ou trop laxiste. Certains pensent que lorsque nous subissons le mal de la part de quelqu’un d’autre, nous serions les mieux placés pour nous faire justice.
«Miss Meadows », dualité du bien et du mal
Le film américain « Miss Meadows » ou « La femme parfaite », réalisé par Karen Leigh Hopkins et sorti en 2014, mélange comédie, drame et thriller. L’histoire suit Miss Meadows, interprétée par Katie Holmes, une institutrice apparemment parfaite qui cache un secret troublant. Lequel ? Sous ses airs niais et bonasses, elle cache une tout autre personne. Miss Meadows se fait justice elle-même, considérant que le monde est plein d’abrutis et de méchants et que la justice traîne à se réaliser. Ce film jette la lumière sur la dualité de la nature humaine. Miss Meadows est présentée comme une femme charmante, douce et dévouée à ses élèves. Cependant, derrière cette façade se cache une personnalité complexe et sombre. Cette dualité soulève des questions sur la nature humaine et les masques que nous portons dans la société. A travers ce personnage complexe, le film aborde le thème de la justice personnelle. Miss Meadows se transforme en vigilante, prenant les choses en main lorsque la loi échoue à protéger les innocents. Cela soulève des questions éthiques sur la légitimité de la vengeance et sur les conséquences de nos actes.
Ce film soulève un débat houleux. Il pousse le spectateur à se poser des questions dont la réponse n’est pas toujours satisfaisante. Par exemple, un voisin super musclé pourrait décider de nous frapper parce que nous aurions fait trop de bruit à son goût !?
Affaire Jacqueline Sauvage
L’Etat de droit, c’est quand tout le monde doit respecter les règles de vie en société, même quand ces règles ne nous plaisent pas. L’affaire Jacqueline Sauvage est une affaire judiciaire française survenue en 2012, à la suite du meurtre de Norbert Marot, abattu de trois coups de fusil dans le dos par son épouse Jacqueline Sauvage le 10 septembre 2012.
Durant le procès, la défense a reposé sur l’affirmation de violences et abus sexuels subis par l’accusée et ses filles durant plus de 40 ans. La condamnation de Jacqueline Sauvage, en première instance puis en appel, à une peine de dix ans d’emprisonnement, a suscité des réactions d’incompréhension. Il y a eu une très forte médiatisation qui a provoqué des débats dans la société sur l’application de la légitime défense préméditée dans le cas de violences conjugales.
Le 31 janvier 2016, François Hollande a accordé une grâce présidentielle partielle à Jacqueline Sauvage, mais la justice a refusé sa demande de libération conditionnelle. La justice lui a finalement accordé une grâce présidentielle totale le 28 décembre 2016.
Peut-on dire ici que le bruit médiatique de ces pétitions qui ont fait le buzz sous le coup de l’émotion, a déformé la décision de la justice au détriment de la raison et du jugement ? On a ici le cas d’une justice personnelle face à la justice de l’Etat.
L’Etat de droit dispose pourtant du « monopole de la violence légitime ». En d’autres termes, seul lui peut contraindre, enfermer, ou faire usage de la force. Toute forme de violence est répréhensible, abjecte. Encore plus lorsque cela concerne les femmes et les enfants. Ici, elle a été libérée pour avoir tué à cause. Elle s’est fait justice elle-même : pensez-vous que cela est-il excusable sur un plan purement humain ? Jacqueline Sauvage, selon vous est-elle une criminelle comme les autres ?
Pensez-vous qu’elle a bénéficié d’un privilège accordé par le président de la République et contre la décision de justice et des jurés ? Pourtant, Montesquieu, dans « L’esprit des lois » au XVIII° siècle nous dit « Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principaux, ou nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes des particuliers. ». Pensez-vous que la liberté et l’égalité sont menacées par ce genre de grâce présidentielle et pourquoi ? lit-on sur www.ateliersdelecume.com
Que disent les religions monothéistes ?
L’approche de « se faire justice soi-même » est perçue de manière critique dans les principales religions monothéistes — le judaïsme, le christianisme et l’islam — qui valorisent l’idée de justice impartiale et le respect des lois établies.
Judaïsme
Dans le judaïsme, la Torah et les écrits rabbinique enseignent l’importance de la justice et de la loi. L’idée de « puissance de la vengeance » (en hébreu, « naqam ») est souvent équilibrée par l’idée de « tzedek » (justice). La loi juive encourage les individus à faire appel aux autorités judiciaires plutôt que de se venger eux-mêmes. Le Talmud souligne que la vengeance appartient à Dieu, ce qui rappelle que la justice humaine doit être exercée avec prudence et dans le cadre de la loi.
Christianisme
Le christianisme prône le pardon et la réconciliation. Dans le Nouveau Testament, Jésus enseigne à ses disciples de tourner la joue plutôt que de répondre à la violence par la violence (Matthieu 5:39). L’idée de « se faire justice soi-même » est généralement considérée comme contraire aux enseignements du Christ, qui encourage les croyants à laisser la vengeance à Dieu (Romains 12:19) et à rechercher la paix.
Islam
Dans l’islam, la justice est également un principe central, et le Coran encourage les croyants à faire appel à la loi et aux autorités compétentes pour résoudre les conflits. Bien que le concept de « qisas » (la loi du Talion) existe, il est encadré par des règles et des procédures légales. La vengeance personnelle est généralement désapprouvée, et les musulmans sont encouragés à faire preuve de patience et à rechercher la justice par des moyens légaux.
Somme toute, se faire justice soi-même est souvent perçu comme un acte qui peut mener à l’anarchie, à l’injustice et à des conséquences négatives, tant pour l’individu que pour la communauté. Lesreligions monothéistes dans leur ensembleencouragent plutôt la paix, le pardon et la résolution des conflits par des moyens légaux en se fiant aux autorités compétentes.