Clin d’œil
Par : Samir Abdel Ghany

Mahmoud Abdel Wahab est l’un des talents les plus brillants du portrait caricatural en Egypte. Mais au lieu de s’enfermer dans les colonnes des journaux ou les pages des sites web, il a choisi d’être au plus près de son public, partout et en toute occasion. On le retrouve dans les grands et petits événements, des mariages aux anniversaires, en passant par les cérémonies de remise de diplômes et les réunions entre amis. Son crayon est toujours prêt, et son œil, tel celui d’un grand sniper, capte les moindres détails de son sujet en quelques secondes. J’ai eu la chance de découvrir son art et son énergie communicative, et d’être moi-même l’un de ses modèles. À travers lui, c’est une nouvelle génération d’artistes indépendants et talentueux qui s’impose. Mahmoud Abdel Wahab, à lui seul, est une institution artistique.
Un artiste humble et en perpétuel apprentissage
“Je ne me considère pas comme l’un des plus grands portraitistes. Quand je regarde les œuvres des pionniers et des contemporains, je me rends compte que je suis encore en phase d’apprentissage”, confie Mahmoud Abdel Wahab. “Si mon niveau a évolué, c’est grâce à une pratique intensive imposée par mon travail. Chaque jour, je réalise entre 50 et 100 portraits, ce qui signifie que je scrute des centaines de visages, chacun porteur d’une histoire, de traits singuliers, de gènes et d’identités variées. Mais surtout, je nourris mon regard en étudiant les œuvres des artistes égyptiens, arabes et européens, et en revenant sans cesse aux travaux des maîtres.”


Un public exigeant et un défi permanent
“L’exigence du public égyptien est redoutable, surtout face aux générations qui ont grandi avec les œuvres des grands caricaturistes de la presse, à commencer par Mustafa Hussein, dont le trait parlait à toutes les couches de la société. S’adresser à ce public a été un immense défi. Pour le relever, j’ai choisi de m’inspirer des grands maîtres qui ont forgé son goût, tout en restant fidèle à ma propre vision artistique et anatomique. Ce souci d’authenticité me permet de toucher directement le spectateur. À l’inverse, certains collègues tentent de flatter leurs modèles en les embellissant selon des standards hollywoodiens, ce qui entraîne souvent des réactions mitigées, allant de l’indifférence polie aux critiques voilées.”

Un art ancré dans une tradition prestigieuse
“Parler des plus grands caricaturistes d’Egypte et du monde arabe, s’est ouvert un vaste chapitre de l’histoire artistique. L’Egypte possède un patrimoine riche dans ce domaine, bien plus ancien que certains États contemporains. Des pionniers comme Rokha, Tawgan, Zohdi, Bahgat et Hegazy ont marqué les générations. Sans oublier ceux d’origine européenne, comme l’Arménien Saroukhan ou l’Espagnol Santis. Et dans le monde arabe, l’icône indétrônable du caricature engagé reste Naji Al-Ali, symbole de la lutte palestinienne.”
Des moments cocasses et inoubliables
“L’humour est indissociable de mon métier, surtout lors des événements d’entreprise. Il suffit qu’un employé se prête au jeu pour que ses collègues s’en donnent à cœur joie, surtout s’il a des comptes à régler avec eux ! En quelques minutes, le dessin devient le centre d’une avalanche de taquineries et de rires, chaque détail de son visage étant scruté et commenté. L’ambiance se transforme alors en une arène romaine où l’arène est un simple croquis. Quant aux femmes, elles me considèrent parfois comme un chirurgien esthétique ou un coiffeur de renom, espérant que mon coup de crayon puisse sublimer leur image !”

Un métier épuisant mais passionnant
“Travailler comme caricaturiste rapide lors d’événements d’entreprise, de campagnes publicitaires ou de marketing a un prix : l’éloignement des cercles artistiques et culturels, des concours locaux et internationaux, et des œuvres engagées sur les questions sociales et politiques. Certes, l’échange direct avec le public est exaltant, mais ce métier est mentalement et physiquement exténuant. Il ne laisse aucune place à la contemplation ou à l’intimité du processus créatif. Au contraire, il exige une concentration extrême, une rapidité d’exécution en quelques minutes sous le regard et les commentaires des spectateurs. Après quatre à six heures de travail acharné, l’artiste rentre chez lui épuisé, vidant dans l’art toute son énergie et sa lucidité.”
Les conseils d’un maître à ses pairs
“Aux jeunes artistes qui veulent se lancer, je conseille de bâtir des bases solides en dessin académique et en anatomie. La simplicité du trait en caricature est trompeuse : elle n’est pas innée, mais le fruit d’un long travail de synthèse et d’abstraction. Il faut aussi cultiver une grande culture visuelle et artistique, pour ne pas se laisser enfermer par les diktats du marché. Enfin, le secret de ce métier, c’est l’audace et la rapidité.”

Alexandrie, berceau d’une vocation
“Alexandrie a joué un rôle fondamental dans mon parcours artistique. C’est dans cette ville que mon goût et ma sensibilité se sont façonnés, grâce à des rencontres précieuses avec de grands maîtres et à une immersion dans des milieux artistiques variés. Cet ancrage alexandrin m’a donné une identité forte et m’a préparé à affronter l’exigence du public du Caire, qui à son tour m’a ouvert des opportunités inestimables.”