Fava beans, green soup, green burger…à entendre ces mots, des plats américains nous passent probablement à l’esprit ! Or, la réalité est toute autre. Ces appellations sont données à des aliments typiques de l’Egypte respectivement foul medammes, molokkhiya et ta’miya, mais dont le nom d’origine fait bouder la génération Z. Pourquoi les jeunes cherchent-ils avec ferveur àtrouver des substituts à tout ce qui est local, voire égyptien ?

Par : Hanaa Khachaba
La quête des alternatives surtout américaines ne s’arrête pas aux portes de la cuisine. Cette manie de dénigrer tout ce qui est « masri » ou égyptien, s’abat sur presque tous les domaines. On entend souvent parler de « toxic person », de « shoes » pour dire chaussures, de « flask » pour une gourde, et bien d’autres termes inspirés surtout de l’anglais.
Ce phénomène qui gagne de plus en plus d’ampleur auprès de la génération Z révèle à quel point ces jeunes sont déconnectés de la réalité. Vivant dans des bulles de leur création, ils naviguent sur les réseaux sociaux pour copier des comportements étrangers à la société égyptienne. Fervents suiveurs des bloggeurs internationaux, cette jeune communauté se crée une vie virtuelle imitant celle qu’elle contemple fascinée derrière l’écran. Conséquence : elle se mutine contre tout et cherche ardemment à tout balancer : les valeurs, les traditions voire la langue maternelle.
Cette dernière, devenue déformée au fil des années, se situe à mi-chemin entre l’arabe égyptien et l’anglais à l’égyptienne. L’emprunt entre les différentes langues existe et démontre que les langues, tels les êtres vivants, évoluent. Cependant, quand la génération Z tend à substituer des mots arabes par d’autres issus de l’anglais, et à coller de nouvelles appellations à des plats typiques ou à des choses banales cela tire une sonnette d’alarme. Dire green burger pour éviter de prononcer le délicieux « ta’miya », ou commander un plat de fava bean au lieu de « foul medammes », c’est bouder la langue maternelle qui leur semble vieux jeu.

Depuis que les réseaux sociaux ont commencé à approfondir les clivages sociaux entre divisant les Egyptiens en deux catégories : ceux issus d’Egypte, et ceux de Masr, que les changements sociaux ont pris une triste tournure. Il est devenu normal de rigoler entre amis en employant ces expressions. Ne vous étonnez pas qu’on vous lance « inta min Masr », si l’on juge votre apparence, façon de parler, vos manières indignes des « habitants d’Egypte » qui, eux, selon la vision de la génération Z, sont ces individus qui roulent dans l’opulence et aux langues étrangères dominantes.Par contre, si vous êtes chanceux d’être étiqueté comme venu d’Egypte, faites en sorte de le prouver au fur et à mesure de vos discours : l’arabe égyptien est à éviter aussi bien que vous pouvez.
Cette dichotomie linguistique et culturelle n’est pas sans conséquences. Elle crée une fracture au sein de la société égyptienne, où les jeunes se détournent progressivement de leur héritage culturel pour embrasser des modes de vie perçus comme plus modernes et prestigieux. Cette tendance pose plusieurs défis. En adoptant des termes et des comportements étrangers, les jeunes risquent de perdre le lien avec leur propre culture. Les traditions, les valeurs et même la langue maternelle peuvent devenir des reliques du passé, reléguées au second plan. En outre, la division entre ceux qui sont perçus comme venant d’« Egypte » et ceux de « Masr » accentue les inégalités sociales. Ceux qui maîtrisent les langues étrangères et adoptent un mode de vie occidental sont souvent perçus comme appartenant à une élite, créant ainsi une barrière invisible mais bien réelle entre les différentes classes sociales. Sans omettre l’influence des réseaux sociaux et des blogueurs internationaux qui peut également affecter le système éducatif. Les jeunes peuvent être tentés de négliger l’apprentissage de leur langue maternelle au profit de langues étrangères, ce qui peut entraîner des répercussions sur leur compréhension et leur appréciation de la littérature et de l’histoire égyptiennes. En vivant dans une bulle virtuelle, les jeunes peuvent devenir déconnectés des réalités et des défis auxquels leur pays est confronté. Cette déconnexion peut limiter leur capacité à contribuer positivement à la société et à participer à des initiatives locales.

Pour contrer cette tendance, il est crucial de promouvoir une éducation qui valorise à la fois la culture locale et l’ouverture sur le monde. Les jeunes doivent être encouragés à embrasser leur héritage tout en étant ouverts aux influences extérieures, sans pour autant rejeter leur identité. Les médias et les réseaux sociaux peuvent jouer un rôle clé en mettant en avant des modèles qui incarnent cette dualité culturelle de manière positive et constructive. En fin de compte, il s’agit de trouver un équilibre entre tradition et modernité, afin que la génération Z puisse s’épanouir tout en restant ancrée dans ses racines culturelles.