➢ Les réseaux sociaux : A moi de juger et à moi seul ?!
➢ Les utilisateurs des plateformes gagnent en cruauté !
➢ Définitivement coupable, Chahd Saïd, mérite-t-elle ce déferlement diffamatoire ?
Commettre une erreur, est-ce la fin du monde ? Pourquoi certaines communautés ont aujourd’hui tendance à faire monter à l’échafaud tout fautif quelle que soit la gravité de son erreur ? Du moment où les utilisateurs des réseaux sociaux sesont proclamé « juges », la cruauté et l’injustice prennent de l’ampleur sur Terre. L’influence illimitée des réseaux sociaux sur la formation de l’opinion publique et, par la suite, leur impact sur la prise de décisions suscite des discussions houleuses. Débat.
Par : Hanaa Khachaba
Le nom de « Chahd Al-Saïd » a récemment défrayé la chronique en Egypte. Cette jeune femme de 22 ans a commis l’irréparable aux yeux de la sphère sportive du cyclisme. Chahd, championne égyptienne, était suspendue de toute compétition locale pendant un an. Cette décision a été prise par l’Union du cyclisme qui a toutefois refusé de l’interdire de participation aux Jeux Olympiques. Une double mesure tellement bouleversante pour les réseaux sociaux que ces derniers en ont décidé autrement…
Une polémique a sitôt éclaté sur les réseaux sociaux depuis l’annonce par l’Union égyptienne de cyclisme de la participation de la jeune cycliste, Chad Al-Saïd, aux JO de Paris. Celle-ci est accusée par sa collègue Gana Elewa (16 ans) de tentative de meurtre.
Les faits remontent au mois d’avril 2024, lors d’une course au championnat d’Egypte de cyclisme, quand Chahd a bousculé Gana, juste avant la ligne d’arrivée. Cette dernière est tombée par terre et a perdu conscience. Elle a été grièvement blessée et hospitalisée dans l’immédiat. Gana s’est alors adressée au Parquet général pour officiellement accuser sa rivale de tentative de meurtre.
Une grave erreur qui a failli mettre un terme à la carrière professionnelle de Chahd, puisque les utilisateurs des réseaux sociaux se sont positionnés autour de Gana, la victime renversée délibérément de sa bicyclette. C’est normal. Que la coupable soit jugée, sanctionnée et interdite de représenter l’Egypte dans les Jeux Olympiques de Paris. Si cette sanction est conforme aux règlementations du « franc-jeu » et répond aux valeurs éthiques du sport, elle ne devrait cependant pas pousser le bouchon un peu loin.
Partout où l’on surfe sur Internet, la personne de Chahd est stigmatisée. Dénigrée et persiflée à tout bout de champ, la jeune « coupable », a déclaré renoncer au cyclisme et ne plus représenter l’Egypte aux JO (même si la décision n’est pratiquement pas la sienne). Cet incident a pris tellement d’envergure que l’on remet en question le vrai impact des réseaux sociaux sur la vie des gens.
Dans l’évangile, il y a un épisode où Jésus-Christ sauve une femme de la lapidation en disant sa fameuse phrase « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». Chahd est coupable, il n’en est pas question. Elle mérité être punie et suspendue, pour un certain temps. Mais alors mérite-t-elle vraiment d’être brûlée vive ? de l’entraîner à l’échafaud sans merci ? de ne plus la considérer comme une jeune sportive qui a commis une grave erreur, point c’est tout ? ne mérite-t-elle pas une seconde chance, d’être pardonnée après avoir reconnu son tort vis-à-vis de sa rivale, Gana ?
Les réseaux sociaux ont profondément transformé la manière dont l’opinion publique se forme et comment les décisions sont prises. Ils offrent une plateforme où chaque individu peut exprimer ses idées, mais cela a aussi conduit à des conséquences souvent néfastes, notamment la polarisation des opinions et la montée d’une culture de la cancelation.
Influence des réseaux sociaux sur l’opinion publique
1. Les réseaux sociaux permettent à des informations, qu’elles soient vraies ou fausses, de se propager rapidement. Par exemple, lors des élections américaines de 2016, des fausses nouvelles ont circulé sur des plateformes comme Facebook et Twitter (actuellement X), influençant potentiellement le vote de millions de personnes. Des études ont montré que les utilisateurs sont plus susceptibles de partager des informations sensationnelles, souvent sans vérifier leur véracité, contribuant ainsi à la désinformation.
2. Les algorithmes des réseaux sociaux tendent à montrer aux utilisateurs du contenu qui correspond à leurs croyances. Cela crée des « chambres d’écho » où les opinions divergentes sont souvent ignorées ou rejetées. Par exemple, des groupes extrémistes peuvent se former sur des plateformes comme Telegram ou Reddit, renforçant des idées radicales et faisant pression sur les membres pour qu’ils adoptent des positions plus extrêmes.
3. Les réseaux sociaux ont également été des outils puissants pour la mobilisation. Des mouvements comme #MeToo et Black Lives Matter ont utilisé ces plateformes pour sensibiliser, organiser des manifestations et influencer la législation. Cependant, cette mobilisation peut parfois se faire au détriment d’une réflexion nuancée, où l’émotion prime sur la raison.
Impact des réseaux sociaux sur la prise de décisions
1.La capacité des réseaux sociaux à amplifier les voix des consommateurs ou des citoyens peut forcer les entreprises et les gouvernements à agir rapidement. Par exemple, lorsque des entreprises sont critiquées pour des pratiques jugées immorales (comme l’exploitation des travailleurs ou la pollution), elles peuvent faire face à des boycotts massifs. Cela peut les pousser à changer leurs politiques, mais cela peut aussi mener à des décisions précipitées basées sur la peur plutôt que sur une analyse approfondie.
2.La tendance à « cancel » des individus ou des marques pour des erreurs passées ou des déclarations controversées est devenue courante. Par exemple, le cas de J.K. Rowling, qui a été largement critiquée pour ses commentaires sur les questions de genre, a conduit à des appels au boycott de ses livres et à une intense polarisation des opinions. Cela soulève la question de la justice et du pardon : jusqu’où peut-on aller dans la condamnation d’une personne pour ses erreurs, et est-il possible de réhabiliter quelqu’un dans un environnement où la moindre erreur peut mener à des conséquences dévastatrices ?
La cruauté et l’injustice amplifiées
La dynamique des réseaux sociaux a également exacerbé des comportements cruels. Les utilisateurs peuvent se sentir anonymes derrière un écran, ce qui peut les inciter à faire preuve de méchanceté envers ceux qui trébuchent. Ce phénomène est souvent alimenté par le besoin d’appartenir à une communauté qui se positionne contre un « ennemi » commun. Cela peut donner lieu à des campagnes de harcèlement en ligne, où les personnes sont attaquées pour des erreurs qui, dans d’autres contextes, pourraient être considérées comme des occasions d’apprentissage.
En somme, les réseaux sociaux ont un pouvoir immense sur la formation de l’opinion publique et la prise de décisions. Ils peuvent servir de catalyseurs pour le changement social, mais ils peuvent également devenir des outils de division et de punition. La question de savoir si commettre une erreur est la fin du monde dépend de la société dans laquelle nous vivons, et de la manière dont nous choisissons de réagir face à ces erreurs. Plutôt que de condamner sans appel, il est peut-être temps d’encourager la compassion et le dialogue pour favoriser un environnement où chacun peut apprendre et grandir.