Très populaires à leur époque, des centaines de rois et de pharaons de l’Égypte antique nous sont inconnus. Leur renommée avait pourtant traversé les siècles.
Si l’on vous demandait le nom d’un pharaon égyptien, vous citeriez probablement l’un de ces trois-là: Toutankhamon, Ramsès II ou Kheops. Quant aux quelque 340 autres rois de l’Antiquité égyptienne qui a duré trois mille ans, ils sont aujourd’hui tombés dans l’oubli. Ont-ils été moins importants, moins flamboyants, moins marquants que notre trio de tête ? Loin de là. Songez à Thoutmosis III et au temple de Karnak; à Amenhotep III et au temple d’Amon à Louxor; à Khephren et à sa pyramide et son sphinx monumental à Guizeh, selon Cyril Azouvi sur camintéresse.fr.
En réalité, de nombreux pharaons ont joui d’une célébrité qui leur a parfois survécu très longtemps et a fini par se faner, comme le révèle l’exposition Pharaons superstars présentée au Mucem, à Marseille (Bouches-du-Rhône). Plus de mille ans après la mort de Menkaouhor, bâtisseur d’une pyramide à Saqqarah, les Égyptiens continuaient d’entretenir son culte en gravant des stèles à son effigie. Un peu comme si, aujourd’hui, des plasticiens se mettaient à réaliser des portraits d’un roi de France du XIe siècle. Voici quelques-uns des grands pharaons superstars oubliés de l’Histoire.
Menkaouhor, le bâtisseur (règne : 2478 à 2468 av. J.-C.)
Une pyramide réduite aujourd’hui à l’état de monticule à Saqqarah, un temple solaire jamais retrouvé par les égyptologues… À nos yeux, la carrière de bâtisseur du pharaon Menkaouhor ne mérite pas qu’on s’y arrête. Mais pour ses contemporains du XXVe siècle avant J.-C., elle est flamboyante. À tel point que le souvenir de ce roi est entretenu pendant plus de mille ans. Il connaît même un regain au XIIIe siècle avant notre ère, “probablement parce que sa pyramide se trouvait près de la nécropole du taureau Apis, très fréquentée à l’époque”, suppose Frédéric Mougenot, conservateur des antiquités au palais des Beaux-Arts de Lille (Nord) et commissaire de l’exposition Pharaons superstars au Mucem (musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée), à Marseille.
Sésostris, le conquérant (XXe et XIXe siècles av. J.-C.)
Sésostris Ier et ses expéditions militaires dans le désert du Sinaï, Sésostris III et ses guerres en Nubie… Les historiens grecs (Hérodote, Diodore de Sicile…) ont tôt fait de faire l’amalgame et attribuent une longue liste de conquêtes à un pharaon semi-légendaire des XXe et XIXe siècles avant notre ère, nommé simplement Sésostris. “À la Renaissance, l’historiographie va jusqu’à dire que l’empire conquis par Sésostris englobait l’Éthiopie actuelle et atteignait même l’Inde, raconte Frédéric Mougenot. Égal d’un Alexandre ou d’un Napoléon, il devient, dans la culture savante de l’époque moderne, le pharaon de référence, son nom évoquant immédiatement la puissance de l’Égypte antique.” Il a ainsi inspiré Hergé, le père de Tintin, en 1934. Dans l’album Les Cigares du pharaon, l’égyptologue Philémon Siclone lance un « bonjour, mon cher Sésostris »… en se tournant vers un arbre car il est sous l’emprise d’un poison qui altère totalement son jugement !
Ahmosis Ier, l’unificateur (1539-1514 av. J.-C.)
Avant lui, la division. Après lui, l’unité. Au XVIe siècle avant notre ère, le pharaon Ahmosis Ier met fin à un siècle de partition du royaume : au sud, les dynasties égyptiennes légitimes basées à Thèbes (aujourd’hui Louxor); au nord, la dynastie des Hyksos, ethnie étrangère venue du Proche-Orient et occupant la zone du delta du Nil. Ahmosis achève les guerres commencées par ses prédécesseurs contre les Hyksos et parvient à chasser ces derniers d’Égypte. La période qui s’ouvre alors – la XVIIIe dynastie – est qualifiée par les égyptologues de Nouvel Empire, au cours duquel la puissance de l’Égypte antique atteint son apogée. Ce qui vaudra pendant longtemps à Ahmosis l’image d’un roi fondateur. Tombé dans l’oubli au Moyen Âge, il revient au goût du jour en Égypte au XXe siècle, alors que le pays est sous tutelle occidentale: “Cette histoire d’expulsion d’étrangers qui occupent le territoire parle aux Égyptiens soumis à la Couronne britannique”, explique Frédéric Mougenot. Ahmosis devient un emblème pour les nationalistes égyptiens qui se révoltent contre le contrôle du canal de Suez par les Anglais et les Français. “Ce pharaon devient leur Jeanne d’Arc”, lance Frédéric Mougenot. Dans Le Combat de Thèbes, roman publié en 1944, Naguib Mahfouz – seul romancier égyptien ayant reçu à ce jour le prix Nobel de littérature – raconte la victoire d’Ahmosis sur les Hyksos.
Nectanebo II, l’illustre ancêtre (360-342 av. J.-C.)
Ce pharaon du IVe siècle avant notre ère parvient à bâtir de nombreux monuments dans une époque troublée où les Assyriens, puis les Perses, ont envahi le royaume d’Égypte. Mais ce n’est pas pour cela qu’il marque les esprits: d’après une légende forgée à Alexandrie dès la fin du IIe siècle de notre ère, Alexandre le Grand ne serait pas le fils de Philippe de Macédoine, mais de Nectanebo II. La raison d’une telle invention? En 332 avant J.-C., Alexandre conquiert l’Empire perse, qui comprend alors l’Égypte. À sa mort, l’un de ses généraux prend sa succession en Égypte sous le nom de Ptolémée Ier, fondateur d’une nouvelle dynastie pharaonique. “Pour asseoir leur légitimité d’occupant étranger, les Grecs choisissent de s’inscrire dans la lignée de Nectanebo II, dernier pharaon égyptien à avoir régné sur l’ensemble du royaume”, explique Frédéric Mougenot. Dans Le Roman d’Alexandre – fiction écrite par les successeurs d’Alexandre le Grand en Égypte –, la légende raconte comment le pharaon magicien Nectanebo aurait pris l’apparence d’un bélier doré pour séduire Olympias, la reine de Macédoine, et concevoir avec elle le héros qui a repris son héritage. D’innombrables versions de ce Roman circulent en Europe pendant tout le Moyen Âge.
Comment Toutankhamon est devenu superstar
Le nom de ce pharaon du XIVe siècle avant notre ère n’aurait jamais dû traverser les millénaires. Fils d’Akhenaton, il pâtit de l’image déplorable laissée par ce dernier : pendant son règne, celui-ci a instauré une adoration quasi exclusive du dieu solaire Aton, se heurtant à l’hostilité du clergé et d’une partie de la société. Ses images sont mutilées, ses noms effacés, ses statues brisées. Associé à l’œuvre de son père, le jeune souverain (il mourra à 18 ans) subit le même traitement et n’apparaît plus dans les listes royales dressées pendant le règne des Ramsès. Tout bascule en 1922 avec la découverte, par l’archéologue britannique Howard Carter, de la tombe inviolée de Toutankhamon dans la Vallée des Rois. La sépulture, qui abrite un sarcophage massif contenant la momie du roi et un trésor constitué de 5398 objets précieux intacts, propulse le pharaon au rang de star planétaire. D’autant qu’en 1923, la mort au Caire de lord Carnarvon, mécène de la fouille, alimente le mythe de la “malédiction de Toutankhamon” qui aurait touché une dizaine d’autres personnes liées à la découverte de la tombe.