Le grand amour demeure toujours inchangeable, nul n’y peut rien… ni le temps, ni les bouleversements de la vie. Et le grand amour peut être une personne, un lieu, un art. Nos battements de cœur ne suivent pas toujours les règles prescrites par nos prédécesseurs. Evelyne Porret en est un parfait exemple. Portrait.
Porret qui s’est éteinte récemment a fait pleurer les amateurs de l’art de la poterie en Egypte. Il ne faut pas oublier que son nom est très célèbre et que l’on se souvient d’elle lorsqu’il s’agit du village de Tounès ou Tunis lieu emblématique du Fayoum.
Diplômée des arts décoratifs de Genève, la céramiste suisse Evelyne Porret a réussi à transformer un village en un haut lieu de la poterie. Son père est pasteur protestant au Caire. En 1960, Evelyne a 20 ans et décide de rejoindre ses parents au pays des orangers. Non seulement parce qu’elle souhaite être auprès d’eux, mais aussi parce qu’elle aspire à changer d’air. La jeune fille apprend donc le dialecte égyptien et collabore avec de nombreux artistes du pays autour de la poterie. En 1989, Evelyne quitte Le Caire pour vivre dans un endroit paisible. Les touristes qui viennent admirer le fameux lac Qarun du Fayoum apprennent aussi à connaître cette école improvisée. Les œuvres des potiers en herbe séduisent. L’art naïf de l’école du Fayoum est né. Les enfants du village de Tounès ont grandi; certains ont délaissé les travaux des champs pour ouvrir leur propre boutique dans le village. Ils ont eux-mêmes eu des enfants et les ont envoyés chez Evelyne. D’autres ont fondé leur propre école, à Louxor. Dans le village, les boutiques fleurissent. Le lieu est devenu une véritable promenade de week-end pour les habitants du Caire qui repartent souvent les bras chargés d’assiettes, de bols et de décorations en tout genre. Cette initiative simple a contribué à diversifier l’économie de la région. La démarche quasi instinctive de cette grande dame a donné naissance à une activité qui n’existait pas dans cette région.
Rétrospective sur une histoire de réussite
Le grand atout de Porret c’est d’avoir montré aux habitants du village que l’apprentissage du métier artisanal est l’unique solution à leurs problèmes financiers et au problème du chômage. En effet, Evelyne, grâce à l’œil de l’artiste et son étude des arts appliqués, a pu entrevoir les talents des jeunes en jouant avec la terre, et elle a trouvé en eux de jeunes artistes. Porret a eu une idée incroyable qui a changé tout le village : une école de poterie.
Tounès était un petit village dont les habitants souffrent du chômage, et des conditions difficiles de vie. Soudain, cette belle dame aux traits européens est apparue, pour prendre soin de leurs petits et les inviter à apprendre quelque chose de différent, nouveau et aimé. Elle les invite à une autre école différente de toutes les écoles auxquelles ils sont habitués, une école que les jeunes aiment et acceptent de plein gré et non par contrainte. Elle pensait que « la sagesse peut être trouvée n’importe où, même parmi les femmes assises devant les moulins ».
Evelyne Porret a reçu dans sa maison qui jouxte l’école et surplombe le lac de nombreux potiers ou des futurs potiers-artistes. Elle a permis aux talentueux de la cité devenue très célèbre touristiquement parlant d’exposer à la Galerie Marianne Brand à Carouge et aussi à Paris à l’Institut du monde arabe. En effet, les femmes très modestes du village, grâce à l’éducation dans cette école, sont devenues des artistes de produits, que fréquentent des touristes du monde entier pour voir leur art et acquérir leurs belles œuvres d’art spontanées. En effet, un certain nombre de femmes du village sont devenues des pionnières dans la fabrication de poterie, et certaines d’entre elles ont créé leurs ateliers privés. Certains ont voyagé à l’étranger pour exposer leurs œuvres.
Lors d’un de ses passages à Genève, Evelyne avait fait la connaissance de Michel Pastore, architecte d’intérieur et spécialiste en tapisserie. Ils se sont mariés et l’homme, diplômé des Arts et Métiers de Vevey, est venu s’installer à Tounès avec son épouse. Même quand son business ne florissait pas, elle était toujours heureuse pour la plus simple raison : j’étais heureuse que les enfants du village puissent continuer à apprendre un métier et se sentent autonomes et capables de faire beaucoup de choses.
Grâce à l’idée de Porret, le village de Tounès est devenu la capitale de l’artisanat, et son école est devenue une attraction touristique ouverte toute l’année, et un lieu de rencontre annuel pour les potiers et les artisans.
Vous ne trouvez pas de chômeur à Tounès, tout le monde travaille avec de la poterie, de l’osier ou des tapis à main, leur travail est exporté à l’étranger, et il y a un festival annuel de poterie, qui comprend des ateliers, des galeries d’art et du théâtre de marionnettes, mais les artistes viennent de différents pays arabes et européens pour participer à leur travail. Le village a été placé parmi les circuits touristiques les plus importants d’Égypte, avec des endroits pour accueillir les touristes qui peuvent rester quelques jours en profitant de l’art, de la beauté et de la nature magnifique.
Il y a aussi un musée unique de caricature, sans nul autre pareil dans le reste de l’Egypte. Il a été créé par le grandissime Mohamed Abla. Le lieu mythique et magique à la fois contient les plus anciennes caricatures et bandes dessinées d’artistes mémorables du passé à l’instar de Saroghan, Toghan et Zohdi.
Evelyne en tout cas a pu prouver quelque chose : Ce n’est que lorsque nous croyons en ce que nous faisons que la réussite se manifeste dans nos cieux. Elle a montré à quel degré l’apprentissage d’un métier artisanal change la réalité. Porret a pu changer la réalité d’un village modeste, en un lieu voué à la production, à la richesse et au cosmopolitisme. Croire, aimer et apprendre sont les mots qui résument son message sur terre.