Par: Marwa Mourad
La tendance “ghettossori”, qui se moque de l’éducation positive, promeut des méthodes peu conventionnelles, parfois à la limite de la promotion de la violence.
« Bien évidemment qu’il suffit d’un regard pour qu’elle sache que sa vie est en danger », affirme le site actu.fr. Depuis quelques mois, une nouvelle tendance envahit les réseaux sociaux, celle des mamans « ghettossori ». Dans des vidéos cumulant plusieurs millions de vues, ces dernières revendiquent des méthodes d’éducation peu orthodoxes, laissant parfois place à des dérives inquiétantes.
Pour Céline Quelen, fondatrice de l’association StopVEO-Enfance sans violence, ces discours tendent à banaliser les violences éducatives. Décryptage.

D’où vient cette tendance ?
La tendance « ghettosori », une contraction de « ghetto » et « montessori » (pour l’école Montessori), consiste à tourner en dérision cette méthode d’éducation alternative, créée en 1907 par Maria Montessori, centrée sur l’écoute de l’enfant et la prise en compte de ses émotions.
Celle qui a initié le mouvement s’appelle @jessicafrenchriviera, suivie par 182 000 abonnés sur TikTok. Dans sa bio, elle se revendique comme étant la « créatrice ghettossori ». « T’es triste ? Bouhou, t’as une tempête d’émotions ? Tu vas vite te calmer et redescendre », lance-t-elle sur le ton de la rigolade.
Pression de la société, du travail, du couple, de la famille, des réseaux sociaux… Dans un monde qui cultive la recherche de la perfection, il faut dire qu’être parent n’est pas une mince affaire. Un terreau parfait pour que se développe la tendance « ghettossori ».
” Je suis une maman ghettossori donc bien sûr que… “
Depuis les publications postées par @jessicafrenchriviera, la trend s’est répandue comme une trainée de poudre et de nombreuses influenceuses utilisent ce mot-clé pour dédramatiser le rôle de certaines mères qui culpabiliseraient d’être imparfaites.
Toutes les vidéos se suivent et se ressemblent : elles commencent toutes avec le même gimmick (« Je suis une maman ghettossori donc bien sûr que.… »), suivi d’une activité inavouable avec leurs enfants.
Il y a celles qui revendiquent le fait de nourrir leur progéniture avec des céréales quand elles n’ont pas envie de préparer à manger, celles qui avouent dire des gros mots, ou encore celles qui assument utiliser la violence.
“N’hésitez pas à user de menaces”
« Quand ma fille me gave, bien sûr que je lui dis que je vais l’échanger avec une autre enfant que j’ai appelée Danielle », cingle l’une d’elles. « Bien évidemment que c’est la dictature et non pas la démocratie, c’est moi qui ai le dernier mot en toutes circonstances », lance une autre.
« N’hésitez pas à user de menaces, à hausser le ton voire goumer (s’embrouiller, se battre, NDLR) », recommande @jessicafrenchriviera. « Si l’enfant évolue dans un environnement un petit peu ghetto, il sera plus enclin à se débrouiller tout seul et à faire face à la vraie vie », complète celle qui n’a pourtant aucun diplôme en sciences de l’éducation.
Une banalisation des violences à l’égard des enfants
Derrière cette tendance décomplexée se cache un discours qui valorise une éducation à la dure. « Elle favorise les violences éducatives ordinaires (VEO) », dénonce auprès d’actu.fr Céline Quelen, directrice générale et fondatrice de l’association StopVEO.
“Dans ces discours, il y a le recours à la menace, au chantage, à la moquerie voire à l’humiliation. Ce ne sont pas des messages éducatifs, bien au contraire.”
Selon la définition de l’Observatoire des violences éducatives ordinaires, les VEO regroupent « l’ensemble des pratiques coercitives, punitives ou manipulatrices tolérées, voire recommandées dans une société, pour éduquer et contrôler les enfants ». Elles sont interdites par la loi depuis 2019.
Les parents soumis à des injonctions contradictoires
Pour Céline Quelen, l’émergence de cette tendance témoigne de la difficulté des parents à s’y retrouver dans ce déluge de consignes contradictoires liées à l’éducation des enfants. « Ce type de messages joue sur leurs peurs et favorise une forme d’identification », explique-t-elle.
« Cela déculpabilise beaucoup de parents qui ne savent pas bien comment faire et se sentent seuls », ajoute-t-elle. Mais, « si l’on commence à cautionner les menaces, les humiliations et les punitions, on peut ouvrir la porte à d’autres formes de violences ».
Ces discours sont aussi le reflet d’une méconnaissance de l’éducation bienveillante et positive, et d’une confusion entre deux notions bien différentes : l’autorité et la violence.
Une éducation tournée à tort vers la punition
« La question qu’il faut se poser, c’est plutôt comment on accompagne nos enfants pour qu’ils grandissent et se construisent comme des êtres éthiques, avec des valeurs, de la morale, en se respectant eux-mêmes et en respectant les autres », détaille la spécialiste.
« Or, le problème de la parentalité en France, c’est que l’on privilégie la capacité à punir et faire obéir son enfant », conclut-elle.
Les violences à l’égard des enfants, dont les conséquences peuvent être considérables, représentent un enjeu de santé publique majeur. En 2024, 81 % des parents reconnaissent avoir encore recours à différentes formes de ce type de violences, contre 79 % en 2022, selon le baromètre de la Fondation pour l’enfance.