Par Samir Abdel-Ghany
























C’est dans l’atelier de mon maître, l’éminent artiste Hassan Hakem, que j’ai rencontré pour la première fois Khalaf Taya, un artiste du portrait dont le silence imposait le respect. Assis à nos côtés, il demeurait immobile, absorbé par les œuvres de Hakem qui tapissaient les murs. Au bout d’une demi-heure, Hakem lui demanda, avec une pointe d’humour : « Khalaf, tu n’es pas avec nous ? ». Nous avons ri tous les deux. Khalaf, toujours aussi calme, répondit : « Je contemple simplement les œuvres de Hakem. »
Hakem, impressionné, se tourna vers moi pour dire : « Khalaf Taya est un grand artiste. Quand nous étions au Koweït, il peignait les portraits des princes tandis que moi, je m’occupais des gens du peuple. »
Les années ont passé avant que nos chemins ne se croisent à nouveau, cette fois dans un bus en direction d’Alexandrie. Par un heureux hasard, il s’assit à côté de moi, le visage rayonnant de bonheur. Lorsque je lui demandai la raison de sa joie, il sortit un carnet de croquis contenant une esquisse de Saif Wanly, une œuvre qu’il venait tout juste d’acquérir, en y investissant toutes ses économies. Étonné, je lui demandai : « Pourquoi, en tant qu’artiste, achètes-tu des œuvres d’autres artistes ? » Il répondit en souriant : « Il y a un plaisir incomparable à posséder l’œuvre d’un autre, à ressentir l’énergie créatrice qui se dégage de chaque trait. Et Wanly est un véritable magicien. Ses lignes envoûtent l’âme. »
J’ai eu la chance de travailler avec Khalaf au journal *Al-Qahira*. Ses dessins, que je voyais à chaque numéro, étaient d’une qualité exceptionnelle. Il utilisait parfois un projecteur pour agrandir et transférer ses esquisses, ce qui facilitait son travail. Un jour, je l’observai en train de dessiner Bikar, l’un des doyens des artistes égyptiens. Khalaf fixait intensément le visage de Bikar, puis, sortant un minuscule crayon de sa poche, il commença à dessiner sans l’aide de la moindre machine. Je fus ébahi par son talent naturel. Reproduire un maître tel que Bikar avec une telle virtuosité était tout simplement fascinant.
Khalaf Taya n’était pas seulement un portraitiste exceptionnel, mais aussi un artiste aux multiples facettes. Lors de l’unique exposition que j’ai pu visiter à l’Atelier du Caire, je fus frappé par la puissance de ses œuvres abstraites. Comment cet homme, si profondément enraciné dans la représentation figurative, pouvait-il également exceller dans l’abstraction ? Ses toiles révélaient une maîtrise inégalée des formes et des couleurs, un monde où l’imagination prenait le pas sur la réalité.
En me renseignant davantage sur son parcours, je tombai sur une vidéo de l’écrivain Khairy Shalaby. Il y disait : « Khalaf Taya est un compagnon de toujours. Nous avons collaboré sur plusieurs projets, des romans illustrés, des sujets journalistiques, et ensemble, nous avons produit 377 portraits de figures égyptiennes créatives. J’écrivais, il dessinait. Nous avons même publié trois ouvrages dans ce cadre. Khalaf, bien qu’étant un réaliste hors pair, savait aussi combiner l’abstrait et le figuratif avec une telle aisance. Ses œuvres, bien que réalistes, respirent une magie indéniable. Il avait cette capacité unique de jouer avec les nuances d’une seule couleur, créant des tonalités d’une richesse infinie. »
Sa femme, l’artiste Nadia Khalaf, évoque ses souvenirs avec une profonde tendresse. « Khalaf est né à Sohag, mais son certificat de naissance ne fut délivré que quarante jours plus tard. Fait surprenant, son véritable jour de naissance coïncide avec celui de sa mort, le 23 septembre. »
Elle poursuit en racontant son enfance à Alexandrie, dans le quartier d’Al-Attarine, un endroit où vivaient Grecs, Arméniens et autres communautés étrangères. Ce quartier, célèbre pour ses boutiques d’antiquités et ses peintres, fut sa première école d’art.
D’une grande générosité, Khalaf ne manquait jamais une occasion de soutenir ses amis. L’écrivain Ahmed Bahgat, directeur de la revue *Radio et Télévision*, l’avait fait revenir d’Arabie Saoudite pour travailler comme dessinateur dans la revue. Khalaf y devint ensuite directeur artistique, puis rédacteur en chef, ouvrant les portes de la revue aux créateurs du sud de l’Égypte, leur offrant une plateforme pour briller.
À titre personnel, je fis la connaissance de Khalaf à la faculté des Beaux-Arts d’Alexandrie, où il rendait visite à des amis. Ce fut le début de notre relation, une amitié qui aboutit à notre mariage. Nous avons eu deux fils : Ahmed, diplômé des Beaux-Arts et aujourd’hui dessinateur pour *Youm7*, et Rami, diplômé en journalisme et responsable d’une rubrique dans un site émirati.
Aujourd’hui, son héritage artistique et son souvenir perdurent. Sa femme continue de partager ses œuvres sur les réseaux sociaux, permettant aux jeunes générations de découvrir son art et son âme créatrice. Ses amis et admirateurs se réjouissent de chaque nouvelle exposition qui célèbre un homme dont l’œuvre demeure vivante, vibrant encore parmi nous.