Par: Randa Henri Barakat
C’est l’heure de l’iftar… Un silence mystique s’abat sur la ville… Des millions d’êtres humains sont là, recueillis, dans l’attente du coup de canon qui va rompre leurs jeûnes … Une agitation de dernière minute dans les cuisines et puis soudain s’élève de tous les minarets du Caire, l’appel à la prière, émouvant, chargé de gratitude et de reconnaissance envers Dieu…
Les mains se tendent vers le pain posé sur la table et le père de famille invite les siens à se servir en disant cette phrase magnifique.
اللهم اني لك صمت و على رزقك افطرت
Je ne peux demeurer insensible à ce moment que je vis et revis depuis ma plus tendre enfance. Rien à voir avec mon appartenance religieuse mais les moments de dévotion et de communication avec Dieu ne se catégorisent sous aucune appellation. Je ressens la même émotion en revoyant cette scène magistrale du film de Zeffirelli « Jésus de Nazareth » quand le Christ a rompu le pain en le donnant à ses disciples lors du Dernier Souper. Pareillement, face à cette extraordinaire fresque murale de la Cène de Leonardo Da Vinci ornant l’église Santa Maria Delle Gracie, à Milan, mille fois reproduite tout au long de l’Histoire de l’Art mais jamais égalée….
Dans la joie du partage et du regroupement, une fois la faim assouvie, les langues petit à petit se délient. Je tends l’oreille, attentive à ce qui se passe autour de moi… J’aime ces moments de grande quiétude et d’apaisement.
Je laisse alors mon imagination dériver. Je me détache du présent qui m’entoure et m’envole, je deviens une fille de l’Univers, un grain de sable balayé par les vents… j’ai une vie et j’ai mille vies, je suis d’hier, d’aujourd’hui et demain… je n’ai plus d’âge et du silence de mon cœur, je t’appelle …
Est-ce que tu m’entends ? Es-tu seulement là ?
Où que tu sois, sache que je t’attends… d’où que tu viennes, ma porte s’ouvrira pour toi. Si tu as froid, je réchaufferai ton corps de mes caresses… j’étancherai ta soif avec les larmes de mon cœur et rassasierai ta faim de ma tendresse… Viens, partons sur un nuage, rêvons ensemble face à une mer infinie qui n’a ni forme ni contour et qui se fond dans l’immensité de l’horizon…
Mais la ville qui sort lentement de sa torpeur me ramène sur terre et m’arrache à ma rêverie…
Venant des fenêtres ouvertes autour de moi, je perçois les bruits familiers de la vie quotidienne qui reprennent leur cours normal… des plats que l’on jette dans l’évier, les portes des frigos qui claquent… les écrans de télévision qui s’allument. Les enfants, libérés des contraintes religieuses qui leur sont imposées, recommencent à courir et à jouer, tandis que les adultes s’affalent sur les canapés, rassasiés, dans l’attente du thé et des douceurs, rituel incontournable de Ramadan.
Avec des rides au cœur et le poids des ans sur les épaules, je reprends contact avec la réalité, et mon sourire, toujours le même, est plus indulgent et plus doux peut-être, de cette douceur que confère le temps à ceux qui ont appris à accepter les vicissitudes de la vie et les adversités des années qui passent…
Dans cette atmosphère de prière et de dévotion, écoute Seigneur tes fidèles et prête attention à leurs conditions. Ne laisse pas l’obscurantisme et la haine envahir leurs âmes. Sois clément, O Créateur de l’Univers et remplis le cœur de tes ouailles d’amour et de bonté, afin que la tolérance et l’Acceptation de l’Autre sévissent et qu’il n’y ait plus de distinction entre les races, les ethnies, les religions et les classes sociales car finalement le sang des hommes, de tous les hommes, quels qu’ils soient, n’a qu’une seule couleur et qu’à tes yeux, ils sont tous égaux…
Randa H. Baraka