Par: Ghada Choucri
À l’ère du numérique, jamais l’humanité n’a eu autant d’informations à sa disposition. Chaque jour, nous sommes inondés de nouvelles, d’alertes, de notifications et de contenus qui s’empilent sur nos écrans. Cette surconsommation, que l’on appelle “infobésité”, ne serait-elle pas devenue une nouvelle forme de dépendance ? Comment différencier un besoin légitime d’information d’une consommation compulsive et anxiogène ?

L’infobésité désigne la surcharge cognitive provoquée par l’excès d’informations. Un phénomène amplifié par l’explosion des médias numériques et des réseaux sociaux. Selon une étude menée par l’Université de Californie, un individu moyen est exposé à environ 74 Go d’informations par jour, soit l’équivalent de 16 heures de lecture continue. Cette avalanche informationnelle dépasse largement la capacité de notre cerveau à traiter efficacement les données.
Cette abondance d’informations n’est pas sans conséquences. Difficultés de concentration, stress accru, sentiment d’urgence constant et fatigue mentale sont autant de symptômes d’un cerveau saturé. Les experts parlent même de paralysie décisionnelle : face à une trop grande quantité d’informations, nous avons du mal à prendre une décision rationnelle, submergés par le doute et la peur de passer à côté d’une donnée essentielle.
Certains chercheurs établissent un parallèle troublant entre l’infobésité et d’autres formes d’addiction, comme celle aux drogues ou au sucre. Le mécanisme en jeu repose sur la dopamine, ce neurotransmetteur du plaisir et de la récompense. Chaque nouvelle information, chaque notification, chaque scroll sur les réseaux sociaux génère une mini-décharge de dopamine, encourageant notre cerveau à répéter ce comportement encore et encore.
L’ingénieur Tristan Harris, ancien designer chez Google et fondateur du Center for Humane Technology, explique que les plateformes numériques sont délibérément conçues pour capter notre attention le plus longtemps possible. Les algorithmes exploitent nos biais cognitifs en nous proposant toujours plus de contenus susceptibles de nous plaire, alimentant une boucle addictive où nous consommons l’information non plus par besoin, mais par réflexe.
Le syndrome du “FOMO” : la peur de rater une information essentielle
Un autre facteur qui alimente l’infobésité est le FOMO (Fear Of Missing Out), c’est-à-dire la peur de passer à côté d’une information importante. Cette anxiété pousse à vérifier compulsivement les actualités, à scroller sans fin sur les réseaux sociaux et à consulter plusieurs sources pour s’assurer de ne rien manquer.
Les médias en continu et les notifications incessantes jouent sur cette peur en entretenant un sentiment d’urgence permanent. Les titres sensationnalistes, les informations contradictoires et l’amplification des polémiques alimentent ce cycle infernal, rendant difficile toute prise de recul.
Un impact sur la qualité de notre réflexion
L’infobésité ne se contente pas d’affecter notre bien-être psychologique, elle a aussi un impact direct sur notre manière de penser et d’analyser le monde. Dans un univers où l’information est instantanée et fragmentée, nous avons tendance à privilégier la quantité sur la qualité.
• Superficialité : Nous consommons beaucoup d’informations, mais sans prendre le temps de les analyser en profondeur.
• Biais de confirmation : Nous avons tendance à rechercher des contenus qui confortent nos opinions plutôt que de nous confronter à des points de vue divergents.
• Érosion de l’esprit critique : L’instantanéité de l’information réduit le temps de réflexion et encourage des réactions impulsives.
Comment sortir de cette spirale ?
Face à cette infobésité galopante, des solutions existent pour reprendre le contrôle de notre consommation d’informations.
1. Limiter son exposition :
◦ Désactiver les notifications inutiles.
◦ Fixer des plages horaires dédiées à la consultation des actualités.
◦ Pratiquer le “digital detox” en coupant les écrans à certains moments de la journée.
2. Privilégier la qualité à la quantité :
◦ S’abonner à des médias de confiance plutôt que de se perdre dans une multitude de sources.
◦ Lire des articles de fond plutôt que de se limiter aux titres et résumés.
◦ Se former à l’analyse critique de l’information pour éviter les biais et la désinformation.
3. Repenser notre rapport aux réseaux sociaux :
◦ Utiliser les plateformes avec modération et en pleine conscience.
◦ Éviter le doom scrolling, ce comportement qui pousse à faire défiler compulsivement des informations négatives.
◦ Ne pas hésiter à faire des pauses numériques régulières.
4. Se reconnecter au réel :
◦ Favoriser les interactions en face à face plutôt que les échanges virtuels.
◦ Prendre du temps pour des activités hors écran (lecture, sport, méditation).
◦ Accepter de ne pas tout savoir en temps réel : l’information importante finit toujours par nous parvenir.
L’infobésité est le symptôme d’un monde ultra-connecté où l’information est devenue une marchandise. Si la connaissance est un pouvoir, elle peut aussi être un piège lorsqu’elle est consommée de manière compulsive et irréfléchie. Reprendre le contrôle de notre attention, c’est retrouver une forme de liberté, redonner du sens à notre rapport à l’information et préserver notre bien-être mental.
Face à la surcharge informationnelle, la question n’est donc pas de tout savoir, mais de savoir mieux.
Encadré
L’essor des contenus courts : une réponse à la fatigue informationnelle ?
Jamais l’humanité n’a eu autant accès à l’information. Chaque jour, des milliards de contenus sont publiés sur Internet, inondant nos écrans et nos esprits. Articles, vidéos, podcasts, notifications, réseaux sociaux : tout concourt à un flux continu de données. Si cette profusion d’informations est une opportunité, elle devient aussi un problème : nous sommes submergés, incapables d’absorber et de traiter efficacement tout ce qui nous est présenté. Cette surcharge cognitive engendre un phénomène bien connu : la fatigue informationnelle.
Face à ce trop-plein, une tendance s’est accélérée ces dernières années : celle des contenus courts. Des vidéos de quelques secondes sur TikTok ou Instagram Reels aux résumés d’articles en une phrase, en passant par les newsletters minimalistes et les bullet points d’actualités, tout semble aller vers plus de concision et d’efficacité. Cette évolution est-elle une véritable réponse à la fatigue informationnelle, ou un simple palliatif qui ne fait qu’aggraver le problème ?
Le succès des contenus courts n’est pas un hasard. Il répond à une mutation de notre consommation de l’information, accélérée par les nouvelles technologies.
1. Une adaptation à nos nouveaux modes de consommation
Avec l’essor des smartphones et de la connexion permanente, nous avons développé une manière plus fragmentée et intermittente d’accéder à l’information. Nous consultons nos écrans en mouvement, entre deux tâches, dans des moments d’attente. L’attention prolongée devient un luxe, et les formats longs souffrent d’une perte d’intérêt.
Les plateformes l’ont bien compris et ont adopté des formats adaptés à cette nouvelle réalité :
• TikTok et Instagram Reels misent sur des vidéos de moins d’une minute.
• YouTube a lancé ses Shorts, des vidéos ultra-courtes destinées à une consommation rapide.
• Twitter (X) et LinkedIn favorisent des messages courts et percutants.
• Les plateformes de podcasts et d’articles proposent désormais des résumés en quelques phrases ou minutes.
2. Un contenu plus digestible pour lutter contre l’infobésité
L’un des principaux arguments en faveur des contenus courts est qu’ils permettent de réduire la surcharge cognitive. Plutôt que d’être submergés par des articles de plusieurs pages ou des vidéos d’une heure, nous accédons à l’essentiel en quelques instants.
Certains médias et créateurs ont ainsi développé des formats conçus pour maximiser l’efficacité informationnelle :
• Les newsletters comme “TL;DR” (Too Long; Didn’t Read) résument l’actualité en quelques lignes.
• Des applications comme Blinkist ou Koober synthétisent des livres en 15 minutes.
• Les chaînes d’information privilégient les bullet points et les news condensées.
Dans ce contexte, les contenus courts apparaissent comme une solution pragmatique : au lieu de subir un flot d’informations ininterrompu, nous pouvons choisir des formats plus rapides et mieux ciblés.
Un remède qui pourrait aggraver le mal ?
Si les contenus courts offrent des avantages indéniables, ils posent aussi de nouvelles questions. En simplifiant l’information, ne risquons-nous pas de perdre en profondeur, en esprit critique et en compréhension globale ?
1. Une superficialité accrue ?
L’une des critiques majeures adressées aux formats courts est leur manque de profondeur. Réduire un sujet complexe à quelques secondes ou lignes, c’est prendre le risque d’éliminer les nuances, les contextes et les explications essentielles.
• Un article long permet d’explorer un sujet sous différents angles, tandis qu’un résumé peut induire des raccourcis trompeurs.
• Une vidéo de 30 secondes sur un sujet politique ou scientifique risque de simplifier à l’excès des enjeux qui mériteraient un développement plus approfondi.
Cette tendance est accentuée par les algorithmes des réseaux sociaux, qui favorisent les contenus courts et engageants, au détriment des analyses plus poussées. Résultat : l’information devient de plus en plus instantanée, émotionnelle et réactive, mais de moins en moins réfléchie.
2. Une consommation encore plus compulsive
L’autre effet pervers des contenus courts est qu’ils ne réduisent pas forcément la fatigue informationnelle. Au contraire, ils peuvent renforcer notre dépendance à l’information en créant une consommation encore plus fragmentée et compulsive.
• Les vidéos TikTok ou Instagram Reels s’enchaînent à l’infini, favorisant le scroll passif.
• Les résumés courts incitent à consommer plus d’informations en moins de temps, sans forcément mieux les retenir.
• Le besoin d’actualisation permanente pousse à consulter les réseaux sociaux plusieurs fois par jour, par peur de rater une information importante (le fameux FOMO – Fear Of Missing Out).
Ainsi, au lieu d’être une réponse à la fatigue informationnelle, les contenus courts pourraient bien en être une cause aggravante, en nous maintenant dans un état de stimulation cognitive constante.
Vers un équilibre entre concision et profondeur
Alors, faut-il rejeter les contenus courts au profit d’une information plus longue et approfondie ? Pas forcément. La clé est sans doute de trouver un équilibre entre concision et réflexion, immédiateté et approfondissement.
1. Miser sur des formats hybrides
Certains médias et créateurs proposent des approches combinant le meilleur des deux mondes :
• Un résumé rapide pour donner les grandes lignes, suivi d’un contenu plus détaillé pour ceux qui veulent aller plus loin.
• Des formats interactifs, où l’utilisateur peut choisir entre plusieurs niveaux de profondeur.
• Des contenus courts conçus comme une porte d’entrée vers des analyses plus riches.
2. Réapprendre à gérer son attention
Face à l’infobésité, il est crucial de reprendre le contrôle sur notre consommation d’informations. Cela passe par :
• Limiter le temps passé sur les réseaux sociaux et privilégier des sources fiables.
• Alterner entre formats courts et longs, en fonction du sujet et du niveau de détail souhaité.
• Pratiquer la lecture en profondeur, pour ne pas perdre l’habitude d’une réflexion plus approfondie.
Conclusion : une solution incomplète
L’essor des contenus courts est une réponse partielle à la fatigue informationnelle. S’ils permettent de simplifier et d’accéder plus rapidement à l’essentiel, ils présentent aussi des risques de superficialité et de consommation compulsive.
La véritable solution réside sans doute dans un usage équilibré des formats courts et longs, couplé à une prise de conscience sur notre manière de consommer l’information. À l’ère du numérique, il ne s’agit pas seulement de lire plus vite, mais de mieux choisir ce que nous lisons, regardons et écoutons.