Fragilisée par la guerre en Ukraine, l’Allemagne, moteur économique de l’Europe depuis plus d’une décennie, serait désormais le nouvel homme malade de l’Europe. Ce ralentissement pourrait-il bénéficier à l’Hexagone ? Si l’économie française montre des signes de rebond par rapport à l’Allemagne, qui reste puissante, notre objectif ne doit pas être d’entrer en compétition avec notre voisin, mais de renforcer les investissements au niveau européen, en particulier dans le numérique. Une opinion partagée sur les pages de La Tribune par Gianmarco Monsellato, président de Deloitte France et Afrique francophone.
Depuis le printemps 2023, l’Allemagne montre des signes inquiétants de fragilité. Tandis que la France, l’Italie ou encore l’Espagne devraient être en croissance cette année, le FMI prévoit au contraire un repli de l’activité allemande. Il est vrai que l’appareil productif outre-Rhin a été affaibli par une combinaison de facteurs : inflation élevée, hausse du coût de l’énergie, durcissement de la politique monétaire, guerre longue en Ukraine ou diminution des exportations en raison du ralentissement économique chinois.
Une économie allemande fragilisée, mais qui demeure devant la France
Ce ralentissement ne signifie pourtant pas que la France serait automatiquement devenue « l’homme fort » du continent. Pour l’heure, l’Allemagne demeure bel et bien la première économie européenne, loin devant la nôtre. Le niveau de PIB et de PIB/habitant y est nettement plus élevé et le radio dette/PIB à 66% (versus 91% dans la zone euro) permet à l’État d’investir en période de ralentissement, comme ce fut le cas en 2009.
L’Allemagne peut également compter sur une industrie qui pèse 25% du PIB, soit deux fois plus qu’en France, et un secteur automobile, mécanique et chimique fortement exportateur, avec une balance commerciale positive de 82 milliards d’euros en 2022, loin du déficit français de -78 milliards d’euros.
Notre voisin nous devance même sur certains de nos points forts. Alors que nous nous sommes longtemps enorgueillis de la supériorité de nos grands groupes à l’international, l’Allemagne dépasse désormais la France dans le classement Fortune 500 qui liste les plus grandes entreprises mondiales.
La France, première puissance économique en Europe à l’horizon 2050 ?
Pourtant, la dynamique semble avoir changé de camp ces dernières années. Depuis cinq ans, excepté en 2020, la croissance française surpasse celle de l’Allemagne. Comment l’expliquer ? En partie par le renforcement des dispositifs publics visant à améliorer la compétitivité et l’innovation des entreprises ainsi que les investissements publics et privés massifs dans le numérique.
Ces efforts sont en train de payer. Par exemple, sur l’accès aux infrastructures numériques, 79% du territoire français est aujourd’hui équipé en fibre optique contre 23% en Allemagne. Les entreprises françaises ont également accéléré leur transformation ces dernières années et 60% des ETI déclarent aujourd’hui investir massivement dans le numérique d’après une étude de la Banque de France.
L’industrie française est ainsi devenue en 2023, la plus compétitive d’Europe, grâce aux financements fléchés vers la tech du futur et l’augmentation des coûts du travail en Allemagne. Le plan d’investissement France 2030 doit également nous permettre de tenir ce rang en renforçant les 55 pôles de compétitivité qui existent sur le territoire afin de continuer à doper la R&D dans les secteurs de l’automobile, de l’hydrogène, de l’électronique, du spatial ou encore de la bio production.
Il existe donc un réveil de l’économie française qu’il faut saluer, mais dont il serait dangereux de se satisfaire. Pour rester compétitif dans les prochaines décennies, l’impératif est désormais de se positionner sur les futurs vecteurs de croissance : le développement de l’ordinateur quantique, l’accès aux semi-conducteurs et la maîtrise souveraine du cloud computing. Or, seule la France ne peut pas le faire. Dans cette perspective, le ralentissement de l’Allemagne, loin d’être une opportunité pour notre pays, est plutôt un danger.
En effet, l’avenir économique de la France passe par une coopération renforcée avec nos principaux partenaires sur le numérique, véritable moteur de la croissance dans les décennies à venir. L’enjeu au XXIe siècle n’est donc pas de savoir si le statut de locomotive économique européenne doit revenir à la France, l’Allemagne ou l’Italie, mais de faire émerger collectivement l’Europe comme le continent leader du numérique.