L’armée des grands pharaons d’Égypte, souvent mythifiée dans les récits modernes, s’est développée et transformée à travers les âges, devenant l’une des forces de combat les plus redoutées de l’Antiquité. Cette métamorphose s’est faite en réponse aux nécessités et aux conflits de l’époque, chaque période de l’histoire égyptienne apportant ses propres innovations militaires et stratégiques.
L’histoire militaire de l’Égypte ancienne révèle un voyage complexe d’évolution et d’innovation stratégique, façonné par les nécessités de défense et les ambitions d’expansion des pharaons. De ses débuts rudimentaires à une force organisée et technologiquement avancée, l’armée égyptienne a été un pivot crucial dans l’établissement et la préservation de l’une des civilisations les plus emblématiques du monde antique.
Ce cadre dynamique, marqué par l’introduction d’armements révolutionnaires et de tactiques militaires, souligne l’ingéniosité et la capacité d’adaptation des Égyptiens face aux défis de leur époque. Analyser la composition et l’évolution de cette armée offre non seulement un aperçu des aspects militaires, mais aussi une fenêtre sur les valeurs, la politique et l’économie de l’Égypte à travers les différentes périodes de son histoire pharaonique.
La professionnalisation sous le Moyen Empire
L’ère du Moyen Empire égyptien représente une ère charnière dans l’histoire militaire de la civilisation. Une innovation significative marqua cette période, initiée par Amenemhat I : la fondation de la première armée professionnelle. Une structure organisée et hiérarchisée au sein des forces armées se met en force. Elle comprenait un ministre de la guerre et un commandant en chef de l’armée.
La composition de cette armée se divise en unités d’infanterie lourde et légère. La première est armée pour le combat rapproché, la seconde est axée sur la mobilité et les attaques à distance. Les commandants, issus de l’élite sociale, et loyaux au pharaon, jouent un rôle crucial dans la stratégie et la tactique militaires. Ils consolident ainsi les bases d’une force armée capable d’ambitions expansionnistes et de défense des frontières égyptiennes.
Cette réforme reflète une volonté d’adapter l’organisation militaire aux défis variés posés par des adversaires de plus en plus redoutables. Mais surtout elle doit répondre à une ambition croissante d’étendre les frontières du royaume.
L’influence Hyksos et l’âge d’or militaire
L’incursion des Hyksos dans le delta du Nil représente un moment pivot dans l’histoire militaire de l’Égypte. Originaires d’Asie occidentale, ils introduisirent des innovations technologiques déterminantes. Avant leur arrivée, le cheval était inconnu en Égypte, tout comme le char.
Or ces derniers devinrent la colonne vertébrale de la force de frappe égyptienne. Chaque char emporte un archer et un conducteur, exploitant l’arc composite des Hyksos pour une portée et une puissance accrues. L’armée intègre des armes telles que l’épée khopesh en bronze, courbée et des boucliers renforcés. Des protections corporelles plus avancées commencent à apparaître.
Centrée autour de la figure du pharaon en tant que commandant suprême, l’organisation de l’armée reflète une structure complexe et bien organisée. Dans chaque division, un officier responsable de 50 soldats relevait d’un officier supérieur responsable de 250 hommes. Cet officier, à son tour, relevait d’un capitaine qui était responsable devant un commandant de troupe. Au-dessus du commandant de troupe se trouvait le surveillant de troupe, un officier militaire responsable d’une garnison. Celui-ci relevait du surveillant des fortifications, un officier supérieur en charge des forts où la division était stationnée. Il relevait d’un lieutenant-commandant. Le lieutenant-commandant relevait du général qui était responsable devant le vizir égyptien et le pharaon.
L’infanterie se divise toujours en unités d’infanterie lourde et légère. Des troupes spécialisées, y compris des archers et des unités de soutien logistique, complètent cette force. Ces dernières comprenant des dépôts, des ateliers d’armement et des unités de ravitaillement.
Elles garantissaient l’approvisionnement en nourriture, en eau et en équipement, des troupes. Des divisions nommées d’après les dieux égyptiens, telles que « Amon » ou « Ptah », renforcent l’idéologie divine soutenant les campagnes militaires. En outre, l’intégration de mercenaires, comme les Nubiens ou les peuples de la mer, témoigne de l’extension géographique de l’influence égyptienne.
Egypte antique : Les rois de la guerre
Thoutmosis III, le glorieux aïeul de Toutankhamon, dirige une armée de 10 000 hommes. A Megiddo (dans l’actuel Etat d’Israël), il écrase la coalition syro-cananénne qui s’est rebellée. Comme le vante un scribe qui accompagne l’expédition, le butin est assez conséquent : « 340 prisonniers, 2 041 juments, 191 poulains […], 892 chars, 200 armures, 502 arcs, 2 000 grandes chèvres, 1 929 bovins et 20 500 moutons… » Cette victoire est de celles qui ont forgé dans nos esprits l’image d’un pharaon guerrier.
« Tous les rois d’Egypte, depuis Narmer, relève l’égyptologue Dimitri Laboury, se sont fait représenter armés d’une massue ou d’une épée, en train d’empoigner des captifs par les cheveux, ou lançant leur char dans la mêlée, comme Toutankhamon. Mais ces représentations constituent un “roman royal” ! », prévient le directeur de recherche à l’université de Liège, en Belgique. Ces clichés relaient d’abord une idéologie : « Ce sont des messages qui mettent le monde divin en communication avec les hommes », abonde l’auteur de Akhenaton (Pygmalion, 2010), cite Ca m’intéresse.
Le Pharaon protège ses frontières
Ces scènes de batailles mêlent réalité et symboles. Ainsi, Toutankhamon est souvent représenté juché sur un char en train de décocher des flèches. ces outils de propagande soulignent le rôle primordial du jeune souverain : « Incarnation d’Horus sur terre, et donc divin, le pharaon est le garant de la Maât », cet équilibre fragile entre le monde cosmique et terrestre, rappelle-t-il. Pour cela, il doit notamment « régir tout ce que le soleil entoure, tous les pays, toutes les contrées dont il a connaissance, dont il peut se saisir sur-le-champ en victoire et puissance », résume une stèle du temple d’Amon, à Amada. Autrement dit, le monarque est tenu de protéger ses frontières et a le droit de conquérir des pays.
Ahmosis inaugure une politique expansionniste
Au Nouvel Empire, entre 1539 et 1069 av. J.-C., l’Egypte étend sa domination sur le plus important territoire que le monde ait jamais connu. De par sa géographie, ce royaume à la jonction des continents africain et asiatique est susceptible d’être attaqué de toutes parts. En repoussant les Hyksos (un groupe de peuples venus d’Asie de l’Ouest), le premier pharaon de la XVIIIe dynastie, Ahmosis, inaugure une politique expansionniste qui durera trois cents ans.
Une redoutable marine de guerre
Gare à celui qui ose s’insurger! Sur les champs de batailles, les troupes égyptiennes sont des machines de guerre. Cette armée, qui se professionnalise pendant le Nouvel Empire, a développé des chars d’une redoutable efficacité et perfectionné sa cavalerie. L’Egypte dispose aussi d’une redoutable marine de guerre. Elle installe des ports dans les points stratégiques de la région, et peut s’enorgueillir d’une troupe d’élite.
Se battre, prier, protéger
« Le pharaon est garant de la Maât, un concept qui mêle vérité, justice, droiture, ordre universel », éclaire l’égyptologue Florence Quentin. Pour combattre les ennemis de l’Egypte, et la préserver du chaos des origines, trois options s’offrent à lui. D’abord, la guerre, la vraie, avec son lot de morts et d’estropiés. Mais il peut aussi terrasser symboliquement ses adversaires. Enfin, le roi doit s’assurer que le culte des dieux est bien observé, et tous les jours, sans exception! « Pour faire advenir la Maât sur la terre, le monarque rend la justice pour les hommes et fait des offrandes aux dieux et aux morts », insiste Florence Quentin. Cela se traduit par une série de rites liturgiques dans les nombreux temples du pays, que le pharaon accomplit lui-même ou fait pratiquer par les prêtres. Ces rituels assurent la cohésion du monde.