Ces dernières décennies, les Etats-Unis creusent l’écart avec la zone euro en matière de croissance économique. S’il y a des raisons conjoncturelles, il existe aussi des éléments structurels pour expliquer le retard européen, un article publié sur les pages de La Tribune par Marc Guyot et Radu Vranceanu, professeurs à l’Essec.
Depuis trente ans, les États-Unis enregistrent des taux de croissance du PIB nettement supérieurs à ceux de la zone euro. De 2003 à 2022, le PIB/habitant américain est passé de 49.950 dollars à 62.835 dollars, alors que celui de la zone euro est passé de 31.925 dollars à 37.530 dollars (données OCDE) (les chiffres sont ajustés pour l’inflation depuis 2015).
Une partie de cette différence de croissance s’explique par les politiques économiques mises en œuvre en réponse aux chocs conjoncturels, comme dernièrement pour la crise du Covid-19. Les Etats-Unis ont mis en place un stimulus budgétaire colossal de 26% du PIB financé par un endettement public tout aussi colossal. Outre les déficits, le prix à payer a été la forte inflation depuis 2022 provoquant la mise en place d’un durcissement monétaire.
L’arrêt de l’approvisionnement en gaz russe
L’invasion de l’Ukraine par la Russie renforce l’écart de croissance en pesant fortement sur la croissance européenne. En effet, l’arrêt de l’approvisionnement en gaz russe, abondant et bon marché, pèse sur les coûts de fabrication des produits manufacturés et sur la facture d’énergie en général.
Mais les chocs externes ne peuvent pas expliquer les tendances de fond. L’essentiel des facteurs expliquant l’écart de croissance favorable aux Etats-Unis sur une aussi longue période sont structurels.
Un premier élément structurel est la taille du marché. Dans la zone euro, le marché unique reste encore fragmenté ou sujet à de nombreuses frictions administratives, juridiques et linguistiques. Les Etats-Unis disposent d’un marché des biens et services intégré, de règles commerciales uniformes et d’une seule langue de travail. Les ajustements de production sont rapides et l’échelle de production plus efficace. Le secteur du numérique illustre particulièrement cette différence entre un marché américain unifié et un marché européen fragmenté avec comme conséquence l’absence d’équivalent européen aux firmes américaines comme Google, Apple, Facebook Amazon et Microsoft
Un deuxième élément structurel majeur est la présence d’un écosystème complet favorable à l’innovation technologique et au lancement de nouvelles firmes. Outre le contexte intellectuel favorable à la liberté d’entreprendre, les Etats-Unis sont l’endroit où il est le plus facile de lever du capital et de financer une nouvelle entreprise à toutes les étapes de son évolution. De même, les partenariats de recherche entre les entreprises et les institutions d’enseignement supérieur, sont à un niveau inégalé dans le monde.
Tous les secteurs de la tech connaissent un fort dynamisme aux Etats-Unis que ce soient les biotechnologies, le numérique, l’intelligence artificielle, l’aérospatial et surtout actuellement les secteurs de la « greentech » et de la transition énergétique. Les dépenses en R&D aux Etats-Unis sont très élevées, et depuis longtemps. En 2021, les Etats-Unis dépensaient 3,5% de leur PIB en R&D, comparé à 2,2% en moyenne en Europe, respectivement 3,1% en Allemagne et 2,2% en France.
Un troisième élément structurel provient de la différence entre les taux de croissance de la population active. Aux Etats-Unis, la croissance naturelle plus élevée et les flux migratoires plus importants génèrent une croissance de la population active bien supérieure.
Un quatrième élément structurel est la flexibilité du marché du travail américain. Certains pays d’Europe du Nord ont également un marché du travail flexible mais ce n’est pas le cas des pays du Sud de l’Europe comme la France ou l’Italie. Le marché du travail américain est efficace pour intégrer les travailleurs immigrés et assurer une réallocation rapide de la main d’œuvre des secteurs en difficultés vers les secteurs en croissance. En septembre 2023, le taux de participation à 62,8% est quasiment revenu au niveau d’avant 2019. De son côté, le taux de chômage est extrêmement faible depuis longtemps, à 3,8%.
Un cinquième élément structurel est la différence entre les niveaux d’éducation. Le niveau d’éducation supérieure des Américains est très élevé. En 2022, l’indicateur d’éducation supérieure dans la classe d’âge 55-64 ans est à 44,7% et surpassent tous les pays de la zone euro. Dans la classe d’âge 25-34 ans, l’indicateur est à 51,3% contre 50,4 % en France.
Un sixième élément structurel est la moindre place prise par l’État dans l’économie laissant davantage d’espace au secteur privé, plus efficace. Sur les 25 dernières années (hors période Covid-19), la dépense publique est de l’ordre de 35% du PIB aux Etats-Unis contre 45% dans la zone euro. Cette part de l’État plus importante a pour conséquence une taxation plus lourde dans la zone euro impliquant des effets incitatifs négatifs sur l’entreprenariat, la dynamique économique et, in fine, l’emploi.