Gérard de Nerval disait du printemps « Déjà les beaux jours, la poussière, un ciel d’azur et de lumière ». Une phrase qui s’applique merveilleusement au printemps égyptien. Cette saison très particulière en Egypte et qui ressemble par sa splendeur et sa clémence à un été précoce. Chatoyante et ensorcelante est la brise du printemps qui revient avec arômes, parfums et saveurs. Le printemps change le goût âpre de notre vie prise, depuis plus d’un an, dans les filets de la pandémie. C’est dans un espoir de joie et d’euphorie que les Egyptiens attendent cette saison. Le printemps souffle à petit feu ses brises et annonce une période de fêtes successives : Pâques, Cham El-Nessim et le Petit Baïram.
Le printemps égyptien a une saveur particulière, une sauce différente, ce n’est pas une simple saison, c’est un univers entier. En écoutant la voix du chanteur libanais Farid Al-Atrach répéter mélodieusement : « Voici le printemps de retour et la lune qui rayonne », on a tout juste l’impression que ce sont nos sens qui prennent vie. Ici dans ce coin paradisiaque du monde, le printemps s’appelait à l’origine Cham Al-Nessim. Dans l’Egypte antique, les Egyptiens célébraient Cham Al-Nessim qui marque le retour à la vie, l’éclosion des fleurs, l’épanouissement des plantes, le relookage de la nature. Couleurs, parfums, ciel bleu, journées plus longues, un mélange épicé qui nous dit que les plus belles choses dans ce monde sont gratuites, accessibles à tous et à toutes.
Le printemps égyptien se résume en un nombre de paysages. Les tempêtes de sable marquent la fin de l’hiver, comme si ce sable ou cette poussière marquaient la fin d’un chapitre et le début d’un autre. On passe du gris à la palette de couleurs, du soleil hivernal pâle et fragile à un autre réchauffant et rayonnant. Le printemps égyptien ressemble par son inconsistance et ses caprices à une belle jeune femme réputée pour ses voltefaces. Entre chaud et froid, entre poussière et pureté, entre fin et début, le printemps égyptien colore même nos assiettes. Cette symphonie touche d’abord nos plats de fruits : après les agrumes parfumés de l’hiver, le printemps vient avec ses bananes sucrées, ses pommes tricolores, l’apparition timide mais imposante des goyaves et les lanternes japonaises avec leur goût très aromatisé. Il y a aussi les amours en cages qui portent un nom très particulier « Harnakach » ou « Les femmes cachées ». Quel délice de sentir le parfum des fraises et celui des goyaves s’entremêler réveillant les sens et aérant l’esprit ! Vers la fin du printemps, d’autres fruits s’ajoutent au menu : les pêches, les abricots, et les prunes. Couleurs et saveurs ! Durant cette même période, on a l’impression que les Egyptiens – notamment au Caire et dans les villes côtières comme Alexandrie – repeuplent les rues, longtemps désertées. En hiver, avec le froid, le givre, les nuits courtes, tout le monde reste bien réchauffé chez lui autour d’un café, d’un thé ou d’une tisane d’herbe. Là, les gens célèbrent les soi[1]rées passées dans les rues à redécouvrir et reconquérir les villes bruyantes et infatigables d’Egypte. Au Caire, sur la cor[1]niche du Nil et autour du Vieux[1]Caire, autant de lieux rassemblent surtout la jeunesse. Avec le coronavirus, les Egyptiens ont malheureusement connu l’enfermement le dernier printemps. Le printemps 2020 était placé sous le signe du con[1]finement : nul ne sortait de chez lui, nul n e mettait un nez à l’extérieur, nul ne pouvait profiter de ce moment privilégié. Alors, cette année, il y a évidemment les mesures préventives et les gestes barrières, mais une envie inaltérable de vivre sa vie et d’en profiter au grand maximum. Les fleurs, ces pétales col[1]orées et parfumées reviennent sur les tables et sont réoffertes en cadeau pour la fête des mères qui coïncide en Egypte avec le premier jour du printemps. Le jardin d’Al-Orman à Guiza offre un tableau qui peut rivaliser avec c e u x exposés dans les p l u s grands musées du monde de par leur forme, leur beauté, et leur diversité. Dans les grandes villes côtières comme Alexandrie, certaines plages voient déjà apparaître des estivants timides qui cherchent à échapper à leurs ennuis quotidiens avant que les plages ne soient bondées et pour profiter du calme et de la quiétude. Les plus courageux pourront déguster les premières glaces avec joie et trembloter aux plaisirs du goût frileux et aromatisé : fraise, citron, pistache, melon, autant de saveurs pour les aventureux. Le printemps à la sauce égyptienne est un moment à ne pas manquer, à ne pas oublier, à continuer à espérer et même à rêver d’un monde sans pandémie, sans masque, sans barrières où nous seront tous au rendez-vous de la jouissance et du plaisir.