Longtemps considéré comme un vestige du passé, le protectionnisme fait un retour en force sur la scène économique mondiale. De la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine aux restrictions imposées par l’Union européenne sur certains produits stratégiques, les barrières tarifaires et réglementaires se multiplient. Ce repli nationaliste, motivé par des préoccupations économiques et géopolitiques, bouleverse profondément le commerce international.
Depuis la crise financière de 2008, le libre-échange est de plus en plus remis en question. La pandémie de Covid-19 a amplifié cette tendance en révélant la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement mondiales. Face à la dépendance excessive à des fournisseurs étrangers, de nombreux États ont renforcé leurs politiques protectionnistes, imposant des quotas, des droits de douane élevés ou des normes contraignantes.
Les États-Unis ont été les premiers à réactiver cette logique avec la guerre commerciale déclenchée contre la Chine sous l’administration Trump, poursuivie sous Biden. De leur côté, l’Europe et d’autres puissances économiques, préoccupées par leur souveraineté industrielle, adoptent des politiques similaires, notamment dans les secteurs stratégiques comme les semi-conducteurs, les énergies renouvelables et la sécurité alimentaire.
Le retour du protectionnisme modifie en profondeur la dynamique du commerce international. Première conséquence directe : l’augmentation des coûts pour les entreprises et les consommateurs. En érigeant des barrières tarifaires, les États rendent certains produits plus chers, freinant la compétitivité et la croissance.
Ensuite, la fragmentation des marchés entraîne une redéfinition des chaînes d’approvisionnement. Les entreprises, cherchant à contourner les restrictions, diversifient leurs sources d’approvisionnement ou relocalisent leurs productions. Cette tendance, bien qu’elle favorise l’emploi dans certains pays, peut aussi ralentir l’innovation et réduire les gains de productivité liés à la spécialisation internationale.
Par ailleurs, les tensions protectionnistes risquent d’alimenter des conflits commerciaux. La multiplication des représailles entre puissances économiques peut conduire à une escalade des restrictions, freinant l’investissement et accentuant l’instabilité des marchés.
Si le protectionnisme complique les échanges, il pousse aussi à repenser la mondialisation. La quête d’une autonomie stratégique favorise l’émergence de blocs économiques plus intégrés, misant sur des partenariats régionaux solides. L’Accord de partenariat transpacifique (CPTPP) ou l’Accord de libre-échange africain (ZLECAf) illustrent cette volonté de renforcer les échanges intra-régionaux pour limiter la dépendance aux grandes puissances.
Toutefois, le défi majeur reste d’éviter un repli excessif qui freinerait l’innovation et la croissance mondiale. Un équilibre doit être trouvé entre protection des intérêts nationaux et préservation d’un commerce ouvert, garant d’une prospérité partagée.
Le retour du protectionnisme n’annonce donc pas la fin du commerce international, mais sa transformation. Reste à savoir si cette mutation aboutira à une économie plus résiliente ou à une fragmentation préjudiciable pour tous.
Encadré :
Quelles solutions face au protectionnisme mondial ?
Le protectionnisme connaît un regain d’intérêt à l’échelle mondiale. Guerre commerciale sino-américaine, restrictions sur les exportations de matières premières, relocalisation des industries stratégiques : autant de signes d’un repli économique qui fragilise le commerce international. Face à cette tendance qui risque d’entraver la croissance mondiale, de nombreuses solutions sont envisageables pour concilier souveraineté économique et ouverture commerciale.
1. Favoriser un commerce plus équilibré
L’une des raisons majeures du retour du protectionnisme est la perception d’un commerce international déséquilibré, où certains pays profiteraient plus que d’autres. Pour atténuer ces tensions, il est essentiel de promouvoir des échanges plus équitables en adaptant les accords commerciaux aux réalités économiques et sociales des différents partenaires.
• Renégociation des accords commerciaux : Il s’agit d’établir des clauses garantissant un accès plus juste aux marchés et une réciprocité des avantages. L’Union européenne, par exemple, impose désormais des critères sociaux et environnementaux plus stricts dans ses accords, évitant ainsi la concurrence déloyale.
• Taxation des importations abusives : L’application de taxes ciblées sur les produits issus de pays pratiquant le dumping social ou environnemental permettrait de rétablir une concurrence plus saine sans pour autant fermer totalement les marchés.
• Encourager le commerce régional : La diversification des partenaires commerciaux en favorisant des accords régionaux permettrait de réduire la dépendance à certaines grandes puissances et d’assurer une meilleure résilience économique.
2. Renforcer la coopération internationale
Si le protectionnisme prospère, c’est en grande partie à cause d’un manque de coopération entre les grandes puissances économiques. Relancer le dialogue multilatéral est donc essentiel pour limiter les tensions commerciales.
• Réformer l’Organisation mondiale du commerce (OMC) : Depuis plusieurs années, l’OMC peine à jouer son rôle d’arbitre dans les conflits commerciaux. Une modernisation de ses mécanismes de règlement des différends et une meilleure prise en compte des préoccupations des pays émergents permettraient de renforcer sa légitimité.
• Créer des alliances économiques stratégiques : Face aux politiques protectionnistes de certaines grandes puissances, la formation de blocs économiques solides comme l’Accord de partenariat transpacifique (CPTPP) ou la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) peut offrir une alternative crédible aux pays souhaitant maintenir des échanges ouverts.
• Promouvoir un commerce plus inclusif : Assurer que les pays en développement aient un accès équitable aux marchés mondiaux permettrait de limiter les disparités qui alimentent le protectionnisme dans les économies les plus fragiles.
3. Encourager l’innovation et la relocalisation intelligente
Plutôt que de se refermer sur eux-mêmes, les pays peuvent répondre aux défis du protectionnisme en investissant dans l’innovation et en réorientant leur production de manière stratégique.
• Investir dans la recherche et développement (R&D) : Une économie fondée sur l’innovation est moins vulnérable aux restrictions commerciales, car elle repose sur une production à forte valeur ajoutée, difficilement remplaçable par des concurrents étrangers.
• Miser sur la relocalisation sélective : Plutôt que de rapatrier l’ensemble des chaînes de production, ce qui serait coûteux et inefficace, les États peuvent cibler certains secteurs stratégiques (semi-conducteurs, énergies renouvelables, industrie pharmaceutique) et encourager une production locale tout en maintenant des échanges ouverts pour les autres industries.
• Favoriser les circuits courts et l’économie circulaire : Une meilleure gestion des ressources, avec un accent sur le recyclage et la valorisation des déchets, permettrait de réduire la dépendance aux importations tout en créant de nouvelles opportunités économiques.
4. Réduire les inégalités pour limiter le rejet de la mondialisation
Le protectionnisme est souvent alimenté par un sentiment d’injustice économique, particulièrement dans les classes moyennes et populaires. Lutter contre les inégalités sociales et territoriales est donc une condition essentielle pour apaiser les tensions commerciales.
• Mieux répartir les bénéfices de la mondialisation : Des politiques de redistribution plus efficaces, via une fiscalité plus juste et des investissements dans les infrastructures, permettraient d’éviter que certaines catégories de la population ne se sentent lésées par l’ouverture des marchés.
• Développer des politiques de formation adaptées : La montée en puissance de l’automatisation et de la digitalisation rend indispensable l’adaptation des compétences aux nouveaux besoins du marché du travail. Investir dans l’éducation et la formation continue réduirait le chômage structurel et limiterait la tentation du repli économique.
• Soutenir les PME et les industries locales : Plutôt que de favoriser uniquement les grandes multinationales, des politiques de soutien aux petites entreprises et aux industries locales permettraient de renforcer la résilience économique des territoires.
Vers une mondialisation plus responsable et durable
Le protectionnisme est souvent présenté comme une réponse aux excès du libre-échange. Plutôt que de choisir entre ouverture totale et fermeture des marchés, une approche plus équilibrée et responsable permettrait d’éviter les effets pervers du repli économique tout en répondant aux préoccupations des populations.
L’avenir du commerce international ne réside pas dans l’abolition des frontières économiques, mais dans une régulation plus fine, tenant compte des enjeux environnementaux, sociaux et géopolitiques. En trouvant un juste équilibre entre protection des intérêts nationaux et coopération internationale, il est possible d’envisager un modèle économique plus résilient et plus inclusif.