Noël, nouvelle année, galette des Rois, Chandeleur… Notre hiver est jalonné de fêtes et rituels auxquels nous tenons beaucoup. Pour les esprits chagrins, cet engouement ne serait qu’un grand marché soumis à notre société de consommation. Et si notre appétit pour ces festivités révélait aussi des besoins plus profonds?
Par: Walaa El-Assrah
Noël, nouvelle année, galette des Rois, Chandeleur. Les occasions sont nombreuses durant l’hiver de se rassembler autour d’une table pour partager de bons mets ou décorer notre intérieur de guirlandes colorées. S’il est vrai que ces réjouissances sont savamment commercialisées par tous ceux qui trouvent un intérêt à nous faire consommer, il n’en demeure pas moins vrai que nous y adhérons avec un authentique bonheur, à tel point que nous n’hésitons pas à en allonger la liste, nous appropriant même certains rites issus d’autres cultures comme le Nouvel An chinois ou hérités de notre histoire antique comme la Saint-Valentin (du temps des Romains, c’était une fête réputée libertine). Mais que tirons-nous dans ces rituels qui nous réjouissent autant et nous procurent un tel bien-être?
3 idées pour mieux vivre l’hiver
• Rendons hommage à la lumière
Même s’il se fait plus rare en hiver, le soleil pointe tout de même le bout de son nez de temps en temps ! Sachons multiplier les occasions d’en profiter. Offrons-lui notre visage et nos avant-bras un quart d’heure le plus souvent possible. Levons les yeux et observons sa course dans le ciel. Allumons des bougies et contemplons la flamme en une méditation ressourçante et apaisante.
• Entretenons le goût des autres
Le blues de l’hiver est souvent alimenté par un sentiment de solitude: nous invitons ou répondons moins aux invitations. Ne cédons pas à cette paresse relationnelle! Organisons des brunchs et des goûters plutôt que des dîners. Prévoyons des boissons et des mets réconfortants: gâteaux faits maison, chocolat ou vin chaud, agrémentés de cannelle ou de vanille, des saveurs revigorantes.
• Laissons-nous inspirer par des livres
L’hiver est la saison des pauses à rallonge sous la couette, armés de bons bouquins ; la garantie d’une évasion sans bouger de son lit ! Et si on choisit un roman feel good, c’est une promesse de douceur et de bons sentiments qui réchauffent le cœur, avec des héros inspirants pour résoudre nos propres soucis.
Fêter l’hiver pour dissiper la grisaille
Qu’il est interminable cet hiver, avec ses journées courtes, ses températures basses qui nous engourdissent et son manque de lumière ! “Encore tout récemment à l’échelle de l’histoire humaine, notre société était essentiellement rurale, vivant au rythme des saisons et subissant l’hiver comme un temps assez sombre, privé de luminosité et de chaleur du soleil. Notre inconscient collectif reste imprégné par cette angoisse face aux ténèbres – et ce qu’ils sont supposés abriter – que peuvent évoquer les mois hivernaux” constate Valérie Cordonnier, psychothérapeute. Il est donc logique que nous saisissons tous les prétextes pour dissiper cette grisaille en ponctuant notre calendrier de rendez-vous festifs. Car cela sert à ça les rituels, à semer des petits cailloux blancs qui vont émailler cet hiver et nous amener en douceur vers le printemps!
À ce titre, ils constituent de belles traditions réconfortantes. “Dans ces rituels, on peut aussi voir une tentative d’empêcher que le temps nous échappe et que notre passage sur Terre file à la vitesse de l’éclair sans que nous n’ayons aucune prise sur lui. En marquant symboliquement certains jours grâce aux rituels, nous obligeons le temps à faire une pause” observe Tania Sanchez, agrégée de philosophie. Et puis ces moments joliment mis en scène nous aident à mieux supporter la routine.
Des fêtes qui donnent un sentiment de cohésion
Noël, la galette des rois ou la Chandeleur nous donnent une raison toute trouvée de concocter de belles tablées avec ceux que nous aimons. “Ces rituels sont si codifiés et vont tellement de soi dans notre société qu’on est à peu près sûr de faire carton plein lorsqu’on lance une invitation! Rares sont les personnes qui osent et même ont le désir de s’en détacher. Reconnaissons également qu’ils sont assez faciles à mettre en œuvre car justement très codifiés, obéissant à quelques passages obligés bien établis et connus de tous” souligne Valérie Cordonnier.Ces rites “clés en main” nous donnent une chance de mieux vivre ensemble, de refuser la fatalité du “chacun dans son coin”. Ils nous aident parfois à resserrer ou même réparer des liens en souffrance. “Nous avons tous bien conscience que ces rituels ayant un côté exceptionnel, ils nous obligent à une certaine tenue, à une qualité de présence, plus en tout cas que dans la vie ordinaire. Ainsi, il est plus difficile de sortir son téléphone pendant un repas de Noël ou un goûter autour de la galette des rois que durant un déjeuner habituel ! Cette attitude donne de l’épaisseur à ces instants partagés et les rend plus mémorables” avance Tania Sanchez. Et comme beaucoup d’autres gens font la même chose que nous au même moment, ces rites nous octroient de surcroît le sentiment d’appartenir à un groupe social cohérent.
Une occasion de se frotter aux rituels
Certains de ces rituels ont des racines religieuses, d’autres sont clairement païens. Tous ont en commun d’être dotés d’une certaine spiritualité. “D’après le philosophe Mircea Eliade, même lorsque nous ne pratiquons aucune religion, nous ne pouvons vivre dans un monde totalement profane: nous éprouvons le besoin de distinguer dans nos vies le sacré du profane. Pour cette raison, nous considérons collectivement certains lieux, objets et événements comme sacrés, nous leur accordons une aura particulière, un caractère quasi intouchable qui requièrent un comportement particulier” décrit Tania Martinez. C’est le cas notamment des cimetières, des musées… et aussi des rituels! La nature est également très présente au cœur de ces rituels hivernaux, nous révélant sa toute-puissance. “Certains phénomènes naturels du cosmos comme le solstice d’hiver, autour duquel gravitent les fêtes de fin d’année, nous dépassent. Ils nous extraient du quotidien et nous élèvent, nous font accéder à une forme de transcendance” remarque Valérie Cordonnier.La superstition est une autre dimension s’associant fréquemment aux rituels. Par exemple, la pièce de monnaie qu’il faut tenir dans une main le jour où l’on confectionne les crêpes de la Chandeleur. “Nous ne sommes pas dupes de ces croyances censées nous protéger. Mais alors que nous sommes sans cesse pressés d’effectuer des actes utiles et raisonnables, cette échappée du côté de la superstition nous offre la revanche jouissive du geste gratuit et irrationnel !” constate Tania Sanchez.
Un rendez-vous intergénérationnel
Si les rituels nous touchent autant, c’est probablement du fait de leur pouvoir régressif et de leur capacité à nous replonger dans l’enfance. “À chaque Chandeleur, je me revois petite fille avec ma grand-mère, alors qu’elle me confectionnait des crêpes et des sucettes au caramel pour cette occasion ! C’est un souvenir très doux qui fait partie de mon histoire et de mon identité” sourit Valérie Cordonnier.Ces moments particuliers qui reviennent à l’identique chaque année, rythmant le temps et lui donnant un caractère prévisible donc éminemment rassurant, sont un matériau rêvé pour nourrir les relations intergénérationnelles. Les grands-parents peuvent anticiper ces rendez-vous avec leurs petits-enfants, les préparer avec eux en leur racontant comment eux, les vivaient à leur âge, en étant aussi à l’écoute de toutes leurs idées et initiatives. “C’est le moment où jamais de mettre de la poésie et de la féerie dans la vie des plus jeunes, d’alimenter leur imaginaire en leur transmettant contes et croyances. Ainsi, l’histoire de la naissance de Jésus racontée à des enfants devant la crèche a du sens bien au-delà des familles chrétiennes car elle fait partie de notre patrimoine culturel” note Valérie Cordonnier.
Confort ou inventivité, à chacun son choix
Certaines personnes apprécient les rituels parce qu’elles peuvent s’y couler sans avoir à fournir trop d’efforts, reproduisant un scénario inchangé au fil des ans. “Un confort reposant alors qu’on est souvent sommé, notamment via les réseaux sociaux, d’être original, de montrer qu’on a de la personnalité et qu’on est différent” développe Tania Sanchez. Mais d’autres se sentent quelque peu à l’étroit dans ces rites figés dans le marbre. Il faut alors se sentir libre de réaménager les fêtes de Noël, la galette des Rois ou la Chandeleur, y introduire de la nouveauté, voire un petit grain de folie! “Rien n’empêche non plus de créer des rituels à usage très personnel, au cours desquels, par exemple, on va réfléchir à l’année écoulée et se projeter dans la suivante. On peut inscrire sur une feuille tous les mauvais souvenirs des douze derniers mois et la brûler dans son évier. Puis commencer un cahier pour y noter de jolis projets qu’on aimerait initier pour les mois à venir” propose Valérie Cordonnier. Tout rituel qui nous donnera chaque année le sentiment d’un nouveau commencement plein de promesses, aura rempli son office!