Cette année 2022 marque le bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes à partir de la pierre de Rosette par l’égyptologue français Jean-François Champollion. Cet événement prestigieux met aussi en exergue la passion française pour l’Égypte et les liens étroits et privilégiés entre les deux pays. Les célébrations organisées de part et d’autre mettent à l’honneur cette relation historique et si riche sur le plan culturel entre la France et l’Égypte.
Le Progrès Égyptien a rencontré le directeur de l’Institut Français d’Archéologie Orientale (IFAO), le professeur Laurent Coulon qui s’est confié à nos lecteurs sur les célébrations préparées à l’occasion du bicentenaire du déchiffrement. Un événement fortement attendu par les passionnés de la terre des merveilles, de la civilisation de l’Égypte ancienne. « Le déchiffrement de la pierre de Rosette est un événement fondateur pour l’égyptologie, puisque c’est au moment où Champollion a réussi à découvrir la clé de compréhension des textes hiéroglyphiques qu’on a pu entrer dans une connaissance approfondie de la civilisation égyptienne. Avant lui, l’accès à l’histoire de l’Égypte se faisait uniquement à travers les auteurs gréco-romains et certains auteurs arabes mais on ne pouvait pas relier les événements historiques mentionnés dans ces textes avec les vestiges connus des explorateurs de l’Égypte ou les objets ramenés pour certains en Europe. Donc c’est véritablement en comprenant le système hiéroglyphique et en déchiffrant les inscriptions qui se trouvaient sur les objets et les monuments qu’on a pu commencer à écrire l’histoire pharaonique ; on a pu aussi comprendre l’identité des dieux égyptiens, et associer les dieux et leurs temples. », dit M. Coulon ; et d’ajouter que ce déchiffrement a permis à l’humanité tout entière de connaître l’histoire égyptienne, d’apprécier toutes les avancées de cette civilisation, de voir comment était née cette écriture, comment elle avait évolué et comment elle avait permis la création d’une littérature égyptienne ainsi que des textes religieux extrêmement élaborés, copiés et recopiés au fils de génération. Tous les égyptologues qui ont succédé à Champollion ont contribué à intégrer en quelque sorte l’Égypte dans le panorama des civilisations mondiales et à lui redonner sa place dans cette histoire des civilisations. C’est donc grâce au déchiffrement de la pierre de Rosette et à la naissance de l’égyptologie que le monde entier a pu mesurer la valeur de la littérature et la civilisation de l’Égypte antique. Quant aux autres écritures déchiffrées, le directeur de l’IFAO a indiqué que, de la même façon que pour l’égyptien hiéroglyphique, le déchiffrement de l’écriture cunéiforme a permis de comprendre la civilisation mésopotamienne à travers l’ensemble de ses évolutions historiques. On peut donc évidemment rapprocher ces découvertes et il n’y a pas de hiérarchie à établir entre ces grandes civilisations. Néanmoins, quand on évoque par métaphore la pierre de Rosette et Champollion, on comprend bien qu’il s’agit de l’image qui évoque tous les autres déchiffrements menant à la compréhension de civilisations perdues.
Les manifestations pour la célébration du bicentenaire
Une série de manifestations a été et sera préparée en Égypte et en France pour célébrer ledit événement. Commençons par la France qui organise différentes expositions dans la capitale et en régions. La première s’est ouverte au mois d’avril à la Bibliothèque Nationale de France, « L’aventure Champollion, dans le secret des hiéroglyphes » (du 12 avril jusqu’au25 juillet). À Figeac, ville natale de Champollion, une exposition consacrée aux déchiffrements aura lieu du 9 juillet au 9 octobre 2022. Deux autres expositions célébreront les différents aspects de la vie et de l’œuvre de Champollion, l’une au Collège de France à Paris, du 15 septembre au 8 octobre 2022, l’autre au Louvre-Lens, intitulée « Champollion la voie des hiéroglyphes » qui est prévue du 28 septembre 2022 au 16 janvier 2023. De nombreuses autres expositions ont lieu à travers toute la France, à Grenoble, Marseille, Lyon, Montpellier…
« Pour ce qui est de l’Égypte, l’IFAO s’est associé avec la Bibliotheca Alexandrina pour organiser au mois d’octobre 2022 un colloque international qui s’intitulera « Les hiéroglyphes au 21ème siècle » à Alexandrie. Il s’agira de mettre en avant l’actualité des recherches sur l’écriture hiéroglyphique. C’est un domaine très dynamique, aussi bien par les études paléographiques, qui enquêtent sur la forme des signes et leur évolution historique, que par des études linguistiques, qui analysent le fonctionnement complexe de l’écriture hiéroglyphique. Les chercheurs travaillent aussi sur les différentes modalités d’emploi des écritures égyptiennes et leurs implications sociales, notamment par exemple en ce qui concerne les graffitis laissés par les scribes sur les parois des tombes et les temples égyptiens ou les textes magiques utilisés par les particuliers. Et en marge de ce colloque, il y aura aussi une exposition qui reprendra en partie celle qui a été organisée au musée de Figeac, la ville natale de Champollion. Et c’est donc en association étroite avec le musée de Figeac que nous montrerons cette exposition consacrée au déchiffrement des écritures à la Bibliotheca Alexandrina. », a-t-il expliqué avec enthousiasme, tout en ajoutant que l’IFAO travaille aussi avec l’Institut Français d’Égypte (IFE) à la préparation d’autres événements autour du bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes. Il y aura notamment une exposition qui aura lieu au Caire également en octobre 2022 (Écrire et conter), qui mettra en parallèle des créations contemporaines, utilisant de manière originale les caractères hiéroglyphiques en plomb de l’imprimerie de l’IFAO, et des documents du XIXe siècle remontant aux débuts de l’égyptologie. Il y aura également des présentations pédagogiques, notamment à l’intention des élèves du Lycée français du Caire avec qui l’IFAO a un partenariat, mais aussi, à la demande du Ministère du Tourisme et des Antiquités, la réalisation d’un livret pédagogique en français et en arabe pour l’apprentissage des rudiments de l’écriture hiéroglyphique. « Une autre initiative dans le cadre de la même célébration du bicentenaire, c’est la publication d’un guide des écritures de l’Égypte ancienne qui constitue le premier volume d’une nouvelle série de guides que nous publions à l’IFAO. C’est un guide qui présente un bilan des dernières recherches sur les écritures de l’Égypte antique, évidemment l’écriture hiéroglyphique et ses différentes déclinaisons, l’hiératique, le démotique, mais aussi l’usage des écritures grecque et copte et l’apparition de l’écriture arabe en Égypte. », a renchéri M. Coulon.
À travers ce guide, les plus grands chercheurs du moment contribuent à expliquer l’état des connaissances et les différentes avancées récentes dans le domaine, tout en montrant comment l’écriture ne peut être étudiée qu’en contexte, à travers les travaux de terrain sur les sites archéologiques : le guide offre un panorama des témoignages écrits trouvés sur différents sites fouillés par l’IFAO. En définitive, c’est un ouvrage qui s’adresse au grand public et aux étudiants et qui fait un état de lieu le plus complet possible sur les écritures de l’Égypte antique.Parallèlement, il y a un autre guide qui est sorti en 2022 dans la série des guides archéologiques sur les grands sites fouillés par l’IFAO, et qui est consacré au site de Deir el-Médina. Nous préparons maintenant plusieurs guides sur d’autres sites, d’autres thématiques importantes de l’égyptologie et l’histoire de l’Égypte en général.
Le retour au travail après la Covid
L’IFAO est maintenant revenu à un rythme de travail normal, après une période de crise de la COVID qui avait même provoqué un arrêt presque complet des fouilles pendant quelques mois en 2020. Actuellement, les activités archéologiques se déroulent normalement et tous les chantiers ont pu avoir lieu ;les chercheurs peuvent maintenant voyager et venir en Égypte pour mener leurs missions. En tant qu’archéologue faisant partie de missions archéologiques, M. Laurent Coulon précise qu’une mission est constituée généralement de cinquante à soixante personnes. Entre 10 et 15 chercheurs, ingénieurs et spécialistes, et une trentaine d’ouvriers. « La composition de l’équipe dépend du type de site fouillé. Ainsi, pour les sites islamiques, nous avons besoin de spécialistes de l’histoire islamique, en plus des archéologues qui travaillent en collaboration avec les céramologues spécialisés sur cette période. L’équipe doit comporter des archéologues expérimentés qui vont fouiller et documenter d’une manière extrêmement précise les sites, des topographes qui vont effectuer le relevé topographique et le plan du site, des spécialistes d’archéobotanique qui vont relever les vestiges de la flore et les vestiges végétaux pour pouvoir les analyser pour bien comprendre la nature du site, etc. De nombreux autres spécialistes peuvent intervenir selon les besoins », a dit l’archéologue français.
L’institut a aussi retrouvé un fonctionnement normal pour ses colloques, ses rencontres scientifiques, ses séminaires. Dans ce contexte, l’IFAO a accueilli le mois dernier les rencontres annuelles du réseau des cinq écoles françaises à l’étranger : école d’Athènes, de Rome, de Madrid et l’école française d’Extrême-Orient, dont le siège est à Paris, et bien sûr l’IFAO.Chaque année, les directeurs de ces écoles se réunissent dans l’une des écoles et cette année cette rencontre s’est déroulée au Caire. Le thème qui était choisi cette année était : « les Écoles françaises à l’Étranger : la part du contemporain », c’est-à-dire la part consacrée aux travaux sur l’histoire contemporaine du 19ème siècle au 21ème siècle. Pour ce qui est des manifestations culturelles de l’IFAO, il faut signaler que, comme chaque année, la « Journée de l’archéologie » sera l’occasion de présenter des travaux archéologiques de l’année écoulée ; elle aura lieu le 23 juin.
S’agissant des fouilles archéologiques, le directeur de l’IFAO a expliqué que dans l’ensemble des activités menées par l’institut, il y a une part de tradition : l’IFAO est actif sur les chantiers qui ont été ouverts dès le début du 20ème siècle, et qui sont repris, approfondis, élargis par des jeunes chercheurs de l’IFAO au 21ème siècle. L’IFAO a assuré une présence quasi-permanente sur des grands sites archéologiques qui fournissent un matériau très riche, par exemple Deir el-Médina, Dendéra, Médamoud, etc. « Quand l’IFAO ouvre de nouvelles zones de recherches comme ce fut le cas sur les ports de la Mer Rouge dans les années 2000, c’est pour répondre à des questionnements nouveaux, par exemple la question des expéditions menées par l’État égyptien pour chercher des matériaux comme le cuivre notamment. Fouiller ces zones limitrophes permet de comprendre l’organisation de ces expéditions et le fonctionnement de l’administration égyptienne, les circuits d’échanges et de communications, le transport et donc, au final, de mieux connaître le fonctionnement central de l’état de l’économie égyptienne », a-t-il complété. Et de poursuivre en évoquant un chantier récemment ouvert par Dr Ahmed el-Choki, de l’Université d’Ain Chams, ancien directeur du musée d’art islamique . Il s’agit du chantier de Qal’at Cheikh Hammâm, tout près de Nag Hammadi. Ces travaux de fouilles, financés par l’IFAO, visent à mieux connaître la forteresse de Cheikh Hammâm et son histoire. Il s’agit d’une citadelle d’époque ottomane en Haute Égypte ; Cheikh Hammâm est un personnage bien connu dans l’histoire égyptienne. Dr el-Choki a commencé la fouille il y a deux ans et on espère au fil des campagnes pouvoir mieux connaître les habitations de cette forteresse et recueillir du mobilier et des objets qui éclairent la vie quotidienne sur ce site.
Une relation égypto-française exceptionnelle
Les relations archéologiques entre la France et l’Égypte sont très bonnes. « Au point de vue archéologique, nous avons une coopération très ancienne, qui permet d’avoir des résultats fructueux ; un certain nombre de missions sont franco-égyptiennes, c’est-à-dire que ce sont des missions conjointes avec des directeurs français et égyptiens, comme dans le cas des missions d’Ain el-Sokhna et Wadi el Jarf. Nous cherchons constamment à renforcer notre partenariat à travers des actions conjointes comme à Tanis, où nous participons, en partenariat avec le Ministère du Tourisme et des Antiquités, à un ensemble de restaurations, d’aménagements et de panneaux pédagogiques destinés à mieux accueillir les visiteurs sur le site », juge le directeur de l’IFAO.
S’agissant des dernières manifestations égyptiennes comme le convoi des momies royales et l’inauguration de l’allée des sphinx, M. Coulon constate qu’il s’agit d’événements qui ont eu un très fort impact médiatique et qui ont attiré l’attention du monde entier sur l’Égypte et sur le patrimoine égyptien.
Et concernant le Grand musée égyptien (GME), le directeur de l’IFAO répond qu’il a été sollicité par le GME pour apporter l’expertise scientifique de l’institut sur certains aspects de la préparation du musée. « Même si l’essentiel de cette gigantesque entreprise est réalisé par les scientifiques égyptiens, nous pouvons apporter notre aide pour la révision des textes et des visuels et nous espérons pouvoir contribuer à l’étude des objets des très riches collections du musée et à la publication de ces collections. Nous avons eu des échanges pour pouvoir prévoir dans l’avenir cette collaboration. Nous avons aussi, sur la proposition du ministre du Tourisme et des Antiquités, participé à un projet de l’Ambassade de France pour contribuer à la création d’une nouvelle bibliothèque scientifique au musée, en s’appuyant sur l’expertise de l’IFAO qui possède une très riche bibliothèque d’égyptologie. », a-t-il conclu.
La pierre de Rosette, icône de l’identité égyptienne
En juillet 1798, après le débarquement de Napoléon Bonaparte en Égypte, une mission est envoyée dans le delta du Nil. Là-bas, plus précisément dans la ville de Rachid, Pierre Bouchard, jeune lieutenant polytechnicien français, a trouvé un ancien fragment de stèle gravée, de 112 cm de haut, 75 cm de large et 28 cm d’épaisseur et pesant au moins 762 kilos. La stèle fut envoyée au Caire où une copie fut réalisée pour être analysée et publiée dans la Description de l’Égypte. Plus tard, la stèle fut saisie par les Britanniques et fut exposée au British Museum. Fabriquée en granodiorite grise et rose, la stèle, incomplètement conservée, comprend 54 lignes de deux langues, égyptien ancien et grec ancien, et de trois écritures différentes. Tout en haut se trouve le texte en hiéroglyphes : celui-ci comprend 14 lignes mais, selon les égyptologues, il était à l’origine probablement environ deux fois plus long. L’inscription au milieu comporte 32 lignes en démotique tandis que l’inscription en bas comprend 53 lignes en grec ancien. La stèle contient un décret promulgué par Ptolémée V, à Memphis, capitale du premier nome de la Basse-Égypte, C’est grâce à l’égyptologue français Jean-François Champollion que la pierre a pu être déchiffrée en 1822.