Aujourd’hui, comment ne pas être choqué de la quasi-disparition économique de l’Europe ?… Par Michel Santi, macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales.
L’« accélération de l’économie européenne » évoquée en Chine en ce mois d’avril par Emmanuel Macron est un conte qui ne berce, ni ne berne, plus personne.
Lecteurs : votre première voiture électrique sera très probablement chinoise, car la Chine est désormais passée devant l’Allemagne en tant que second exportateur mondial de véhicules. Ce continent qui a inventé la voiture en est réduit à importer ses véhicules électriques dont il est devenu grand consommateur, car il ne les produit pas. Quelle déchéance abrupte pour cette Europe qui exportait vers la Chine tant de voitures, et qui se targuait de damer le pion aux autres en termes d’industries de l’équipement: elle n’a pas vu venir la fin du moteur à combustion.
D’ailleurs, nous serons même prochainement déclassés dans un domaine où nous étions champions, à savoir celui des avions mono-couloirs, car le Président français a accepté, toujours dans le cadre de ce déplacement en Chine, de doubler la production locale d’Airbus, offrant ainsi aux Chinois tout loisir de s’approprier la technologie afin de surclasser les Européens. Exactement comme ce fut le cas lorsque Siemens leur mit à disposition sa technologie des trains à grande vitesse. Comme pour Kuka Robotics, fleuron mondial allemand de la robotique industrielle, rongé petit à petit par l’actionnariat chinois ayant démarré à 5.4% en 2016 pour en être à 95% aujourd’hui.
« Made in China 2025 »
Pourquoi les Chinois s’en priveraient-ils, du reste, quand les Européens optent systématiquement pour du profit immédiat au détriment de leur propre pérennité technologique sur le long terme ? Pour ceux qui s’étaient donné la peine de s’y intéresser et qui accessoirement savent lire, les objectifs étaient clairement définis dès 2018 dans la feuille de route intitulée « Made in China 2025 » qui sont (je traduis) : «une initiative qui vise à sécuriser la position de la Chine en tant que puissance mondiale dans les industries de haute technologie. L’objectif est de réduire la dépendance de la Chine vis-à-vis des importations de technologies étrangères et d’investir massivement dans ses propres innovations afin de créer des entreprises chinoises capables de concurrencer à la fois sur le marché national et mondial.»
Voilà pourquoi notre moteur industriel allemand est désormais doublé par la Chine, et ce alors que de manière piteuse notre voisin ferme toutes ses centrales nucléaires au beau milieu d’une crise énergétique globale. Voilà pourquoi le déficit commercial allemand fut en 2022, avec 85 milliards d’euros, le plus élevé jamais enregistré par la statistique – je le rappelle – dans un contexte de sanctions contre la Russie paralysant la première économie européenne, et qui la rendent en même temps de plus en plus dépendante du marché chinois pour sa survie.
Légiférer au lieu d’inventer et produire
L’Europe – dont le PIB était sensiblement équivalent à celui des États-Unis au début des années 1980 – s’est, depuis, largement fait distancer. Elle s’est également fait dépasser par la Chine en 2020. C’est comme si ce continent avait unilatéralement choisi de nier les technologies du futur alors qu’il aurait pu devenir l’égal des Américains dans un domaine où il brille néanmoins par la qualité de ses cerveaux. Dès le départ, l’Europe n’a pas tant considéré ces avancées fulgurantes comme des opportunités économiques que comme des menaces qu’il fallait encore et toujours réguler. Car la vision que l’Europe se fait du progrès est d’abord et avant tout problématique. C’est simple : elle légifère, elle édicte directives et réglementations, tandis que les autres inventent et produisent.
Comment dès lors s’étonner de la quasi-invisibilité européenne en Intelligence artificielle ? N’est-il pas à la fois anecdotique – mais ô combien révélateur – que l’Italie et peut-être bientôt d’autres pays interdisent ChatGPT ? Comment avancer, comment être compétitif à l’échelle universelle, dans des domaines que l’on considère être des menaces ? Quand l’Europe comprendra-t-elle qu’il ne sert à rien de réglementer – ni de se vouloir champion de la moralité – sans maîtrise de sa propre puissance économique ? Ce continent – qui est désormais distancé dans quasiment tous les secteurs industriels et technologiques – ne cherche en réalité pas à devenir une superpuissance. Son ambition se réduit à maintenir sa haute qualité de vie, et à ne pas se mêler de crises qui ne seraient pas les siennes. Il n’attend même plus un Prince qui pourrait le réveiller de sa torpeur.