Il y a des plumes qui tracent leur sillage comme des éclats de lumière dans l’histoire littéraire, des voix qui résonnent au-delà du temps, portant en elles l’âme d’une nation, les espoirs d’une génération, les blessures d’un peuple. Mohamed Gibril était de celles-là. Romancier, journaliste, critique, il a sculpté les lettres arabes avec une rigueur de maître et une sensibilité d’artiste, traversant les décennies avec la force tranquille des bâtisseurs de mémoire. Il y a quelques jours, son encre s’est tarie, mais son œuvre, elle, continue de vibrer, porteuse d’un héritage littéraire d’une rare intensité.
La scène littéraire égyptienne vient de perdre l’une de ses figures les plus marquantes. Mohamed Gibril, écrivain et journaliste de renom, s’est éteint après une carrière prolifique qui a traversé plus d’un demi-siècle. Auteur fécond et esprit éclairé, il laisse derrière lui un héritage indélébile dans les lettres arabes, mêlant finesse romanesque et engagement journalistique.
Lauréat du prestigieux Prix d’État pour l’ensemble de son œuvre, Mohamed Gibril fut l’un des écrivains majeurs des années 1960. Disciple brillant du Prix Nobel Naguib Mahfouz, il lui a consacré un ouvrage intitulé Naguib Mahfouz, l’amitié de deux générations, témoignage vibrant de son admiration et de son compagnonnage intellectuel avec le maître du roman arabe moderne.
Avec plus de cinquante romans à son actif, sans compter ses recueils de nouvelles et ses essais critiques, Mohamed Gibril a marqué de son empreinte la littérature égyptienne. Parmi ses œuvres phares, L’Égypte dans les récits de ses écrivains contemporains lui valut le Prix d’État d’encouragement en 1975, consacrant son talent et sa capacité à capter l’essence de son époque.
Mais son influence ne s’est pas limitée à sa plume. Dès les années 1980, il s’impose comme une figure tutélaire pour les nouvelles générations littéraires, offrant à de jeunes écrivains une tribune d’expression à travers le célèbre séminaire du soir, rendez-vous incontournable des cercles littéraires des années 1980 et 1990.
Dans un entretien accordé à Al-Watan, Gibril confiait : « Le journalisme ne m’a pas dérobé à la littérature, car, au fond, ma vie oscille entre trois actes essentiels : contempler, lire, écrire. Le journalisme est un métier que j’aime, mais il n’a jamais éclipsé mon essence d’écrivain, celui qui observe avec acuité, s’immerge dans la lecture, puis dépose ses mots sur le papier. Chacun a sa place et son temps : le journalisme réclame son dû, tout comme l’écriture, qui demeure ma passion. Le secret de l’équilibre réside dans une gestion rigoureuse du temps, sans le gaspiller inutilement, et dans le sérieux avec lequel on aborde chaque tâche. Car, en fin de compte, l’écriture est une aspiration personnelle, et nul écrivain ne s’enrichit de sa plume. »
Avec la disparition de Mohamed Gibril, la littérature égyptienne et arabe perd un de ses phares, un guide dont les écrits et l’engagement auront façonné le paysage intellectuel de son temps. Son héritage, lui, demeure.