Par Samir Abdel-Ghany :
Invité par l’artiste Moustafa Selim à son exposition intitulée Les Oubliés à la galerie Azad de Zamalek, j’ai eu le privilège de m’y rendre en compagnie d’un cercle d’illustres créateurs du monde des arts plastiques : Serwan d’Irak, Bahram et Saad Hajo de Syrie, ainsi que Hassan Dawood d’Egypte. Ensemble, nous avons exploré l’univers pictural de Moustafa Selim, et notre délégation arabe s’est unanimement accordée à reconnaître la puissance et la profondeur de son œuvre.
Alors que nous déambulions parmi ses tableaux, les notes du célèbre chantre Sheikh Imam ont soudain résonné, interprétant les vers enflammés d’Ahmed Fouad Negm :
“Ô Egypte, ô belle et glorieuse,
Avant nos paroles, nos salutations,
Portées par un oiseau chantant des mots empreints de sens,
Parlant de la terre brune, de la lune, des rives et des bateaux,
Des compagnons de la marche difficile, des foules et des cortèges,
Dans les yeux d’une jeune fille radieuse, porteuse de tout le sens.”
Un étrange frisson m’a envahi. Les figures dessinées semblaient elles aussi murmurer cette mélodie. Je me suis alors replongé dans les tableaux avec une intensité nouvelle. Moustafa Selim ne s’est pas contenté de peindre ; il a immortalisé l’âme des gens simples d’Egypte, ces êtres enracinés dans la terre fertile du Nil, forgés par les épreuves, mais illuminés d’un esprit pétillant, même dans les instants les plus sombres.
Sa palette, vivante et vibrante, reflète sa propre essence : elle évoque les sculptures pharaoniques d’un passé lointain, la douce attente du coucher de soleil avant l’iftar durant le Ramadan, ou encore cette exaltation mêlée de tension juste avant une célébration.
Dans des espaces volontairement restreints, Selim a donné vie à ses héros. Ces cadres, étroits à première vue, semblaient oppressants, mais au fil du temps, ils s’élargissaient, laissant les personnages y sculpter leur propre liberté. Leur posture suggère l’attente, la patience d’un rêve de vastitude, ou peut-être une sérénité face à l’inéluctable. Ces visages, ces corps, incarnent nos rêves et notre chair, nous renvoyant aux figures familières des paysans, des ouvriers migrants, des familles unies par l’amour et la souffrance.
Moustafa Selim fait de ses œuvres des sculptures en deux dimensions. Ses personnages ne sont pas seulement peints, ils sont façonnés comme si son pinceau était un ciseau. Leur âme imprègne chaque toile, créant l’illusion d’un mouvement, d’un regard vivant. Face à eux, on ressent une fierté inexplicable d’appartenir à leur univers. Ces oubliés sont nos héros.
J’ai retrouvé dans ses tableaux les fragments de mon enfance, les figures des romans de Naguib Mahfouz, Yusuf Idris, Ibrahim Abdel Meguid et Haggag Oddoul. Moustafa Selim a tissé un monde littéraire où chaque personnage est créé avec un amour incommensurable. Son exposition a captivé tous ses visiteurs, les laissant admiratifs et fiers.
Aujourd’hui, la voix artistique de Moustafa Selim s’affirme. Là où autrefois elle murmurait, elle crie désormais avec force, proclamant la naissance d’un peintre égyptien destiné à rejoindre les rangs des grands maîtres. Soutenu par des artistes renommés comme Mohamed Abla, Samir Fouad et Wagih Yassa, Selim a choisi de gravir les sommets avec une ambition inébranlable.
Ce que nous avons vu à la galerie Azad n’est pas qu’une simple exposition : c’est l’œuvre d’un artiste visionnaire, riche d’une expérience accumulée et d’une maîtrise remarquable. Moustafa Selim n’est pas simplement un ami ; il est le symbole d’une Egypte qui mérite cent autres Moustafa Selim.