Par: Marwa Mourad
C’est, sans conteste, l’une des plus belles surprises littéraires de cette rentrée hivernale. L’auteur de la tétralogie Les Sauvages, adaptée pour la télévision par Rebecca Zlotowski, revient après une longue parenthèse avec un roman intimiste et puissant. Avec Safari (Flammarion), Sabri Louatah questionne la paternité, l’absence et l’identité.
Qui est Sabri Louatah ?
Sabri Louatah est né à Saint-Etienne en 1983. Il s’est fait connaître en publiant Les Sauvages, véritable succès traduit dans le monde entier et qu’il a également adapté en série pour Canal + et, plus récemment, 404 (Flammarion/Versilio, 2019).
Né à Saint-Etienne d’une famille kabyle de dix enfants, émigrée pendant la guerre d’Algérie, Sabri Louatah est un gros lecteur depuis le collège. Après avoir arrêté Normale Sup, il refuse son destin de professeur et se plonge dans la littérature dans le but de devenir écrivain. Faulkner, Bellow, Roth, et Nabokov comptent parmi ses auteurs préférés, mais il place Tolstoï et Proust au-dessus de tous les autres. C’est toutefois la lecture des Démons de Dostoïevski en plein milieu des émeutes de 2005 qui déclenche chez Louatah le besoin de se lancer dans l’écriture. « J’ai senti que mon pays était cassé en deux et j’ai cessé de vouloir faire de la littérature pour essayer de raconter cette brisure » explique l’auteur. Mais il ne se sent pas prêt. Il décide de monter à Paris en 2008, et survit en lisant des scénarios de films.
S’inspirant de sa passion pour les séries américaines (The west wing, The Wire ou Curb my enthousiasm comptent parmi ses préférées), il met alors en route le cycle des Sauvages. « Par une nuit de décembre enneigée, dans l’extase de mon cher terrier de la gare de Lyon, j’ai inventé un candidat à la présidentielle d’origine algérienne qui serait désigné par le PS à l’issue de ses primaires ».
Le livre, qui compte déjà parmi les grands espoirs de la rentrée littéraire de janvier, bénéficiera à coup sûr d’une couverture médiatique importante. A noter que le livre est co-édité par Flammarion avec l’éditeur numérique Versilio, qui en publiera simultanément la version numérique.
De quoi il s’agit ?
«Il faut être deux pour jouer à cache-cache.»
Voilà ce qu’entend le narrateur reprenant ses esprits. Sa vue s’est troublée subitement et il a perdu son fils de quatre ans, Elliott, dans la serre tropicale de Chicago où ils se promenaient. Cette voix, c’est celle de Gabriel, le jeune homme qui a retrouvé Elliott. Mais c’est aussi exactement celle de son père, qui a quitté sa famille sans laisser d’adresse il y a des années. Irrésistiblement, il se lie d’amitié avec cet homme, enregistre sa voix à son insu, cherche à travers lui un peu de l’histoire manquante. Près de vingt après la disparition de son père, sur fond de fêtes de Noël en famille, entre sa mère fantasque et sa femme psy, cette rencontre avec Gabriel bouleverse sa vie de fils, de mari et de père.
Après le très politique 404, Sabri Louatah revient avec un roman « américain », existentiel et familial sur l’abandon paternel.
Quel en est le but ?
Avec son style incisif et une précision chirurgicale, il sonde nos failles et nos manques. Il place des mots d’une grande justesse sur l’absence, la disparition, le doute, jusqu’au vertige. Le narrateur, un romancier français, croit reconnaître la voix de son père dans celle d’un homme qui a retrouvé son fils de 4 ans, brièvement égaré dans la serre tropicale du zoo de Chicago où ils se promenaient. On ressent intimement le profond trouble du narrateur face à ce sosie vocal d’un père qui s’est mystérieusement volatilisé des années auparavant. Jusqu’à l’obsession, il cherche à se lier d’amitié avec son sauveteur et enregistre sa voix à son insu. Sabri Louatah, installé aux États-Unis depuis une dizaine d’années, est parti d’une expérience personnelle pour écrire ce roman existentiel qui se lit comme un thriller. Brillant.