Clin d’œil par Samir Abdel-Ghany









Il y a des artistes qui suivent les sentiers battus, qui répètent les formes et les idées, qui s’inscrivent dans la continuité d’une tradition bien définie. Et puis, il y a Walid Taher. Un homme qui semble n’obéir à aucune règle, qui déconstruit pour reconstruire, qui transforme la matière en émotion pure. Walid Taher n’est pas un simple peintre ; c’est un alchimiste des couleurs et des formes, un poète qui ne manie ni la plume ni l’encre, mais des lignes tourbillonnantes et des pigments éclatants.
Je suis allé voir son exposition, m’attendant à quelque chose de familier, de déjà-vu. Mais dès que j’ai posé les yeux sur ses œuvres, j’ai compris : il était ailleurs. Loin. Hors des cadres habituels. Ce que l’on dit souvent d’un artiste « hors du cadre » ne lui rend même pas justice. Il est hors de notre cercle fermé, au-delà des limites que nous nous imposons. Il a brisé la paroi du convenu et s’est élancé, sans destination précise, porté par un souffle de liberté et d’audace.
Walid Taher, c’est ce calme apparent, ce regard posé et bienveillant, derrière lequel se cache une tempête d’idées, une furie de création. Il est habité par un génie indomptable, un démon du dessin, une folie douce qui le pousse à expérimenter sans cesse. Peut-être est-il lui-même un laboratoire ambulant, une réaction chimique en perpétuel mouvement, où chaque rencontre entre deux éléments produit une nouvelle matière, une explosion silencieuse d’invention et de surprise.
Né au Caire en 1964 et diplômé de la faculté des Beaux-Arts de l’Université de Helwan en 1987, il a tracé son propre chemin depuis ses débuts dans les pages de Sabah El Kheir. Son univers oscille entre l’innocence de l’enfance et la profondeur de la maturité, fusionnant une vision ludique avec une critique subtile du monde qui l’entoure. Il saisit l’âme de l’Egypte, qu’il façonne en images vibrantes, parfois teintées d’ironie, souvent empreintes d’une douce mélancolie.
Ses œuvres sont un mélange fascinant de naïveté et de maîtrise, où les couleurs s’entrechoquent et s’harmonisent dans un ballet inattendu. Il ose les contrastes vifs et les nuances douces, joue avec les lignes rigoureuses et les traits spontanés. Chaque toile, chaque dessin est une porte ouverte sur une Egypte intime et universelle à la fois, un reflet de la vie quotidienne transfiguré par un regard unique.
Mais Walid Taher ne s’arrête pas à l’esthétique. Il interroge, il raconte. Ses œuvres parlent de nous, de notre identité mouvante, de nos racines et de nos métamorphoses. Il capture les fragments du présent, les ombres du passé, et nous les tend sous une nouvelle lumière, provoquant chez le spectateur un dialogue intérieur profond.
Avec le temps, son nom est devenu un repère dans l’art contemporain égyptien. Ses expositions, en Egypte et ailleurs, attirent l’œil des critiques comme des amateurs d’art. Il ne cesse d’expérimenter, de repousser les limites de sa propre expression. Son dernier projet, Elly Hasal Hasal (Ce qui est fait est fait), actuellement exposé à la galerie de la Fondation Ard à Garden City, est un nouveau chapitre de son aventure artistique. Une déclaration de liberté créative, une invitation à plonger dans son univers, à s’y perdre, à s’en émerveiller.
Walid Taher joue avec l’art comme un enfant avec un jouet précieux. Mais ce jeu n’est pas anodin. Il est le fruit d’une passion, d’une quête incessante de sens et de beauté. En lui, le feu sacré de la création brûle avec une intensité rare, et pour cela, il mérite toute notre admiration.
Puissions-nous, spectateurs émerveillés, continuer à nous perdre dans son monde et à célébrer cette folie douce qui donne tant de richesse à notre paysage artistique.